Gérard Miller, Mélenchon, Mai oui 1968-2018

Avec ce petit livre c’est un gros pavé bien éclaboussant que Gérard Miller balance.

S’il ne renie rien de ses engagements de jeunesse et affiche ceux d’aujourd’hui, c’est en prenant à bras le corps la question du pouvoir.

Pour lui, Mai 68 ne s’en préoccupa nullement. Et ce fut sa grandeur. « Qu’est-ce qu’il nous aurait fallu de plus – le pouvoir ? Mais on ne l’a pas pris, tout à la fois parce que nous en étions incapables et parce que nous ne le voulions pas. Je ne sais pas ce qu’imaginaient les uns et les autres dans la galaxie gauchiste, et notamment trotskistes autrement plus politiques que les maos ou les anars, mais à l’UJCML en tout cas, on n’avait pas l’ombre d’un « programme de gouvernement« , et cinquante ans plus tard, cela participe du charme de l’expérience ».

Selon lui, les gauchistes de 68 version mao, dont il fut, n’envisageaient la question du pouvoir que selon la stratégie de la lutte armée et de la guerre civile. D’où une impasse dont ils sont bien revenus. Et de brocarder ses anciens camarades de la GP, Le Dantec, Geismar, July…

Mais le coup de maître de Gérard Miller est d’opérer un époustouflant renversement dialectique. En affirmant que cette même question du pouvoir la voici aujourd’hui posée, sérieusement, car devenue perspective possible, en ce qu’elle est incarnée par Mélenchon et portée par une stratégie démocratique.

« Car à la différence des gauchiste que nous étions et qui se moquaient comme d’une guigne d’exercer le pouvoir, il y a tout de même depuis quelques années une alternative à la société existante, une alternative dont Mélenchon est le nom et qui vise clairement le pouvoir ».

Et d’assumer un aveuglant court circuit historique : « Ce n’est donc pas seulement pour attirer l’attention du chaland que j’ai associé dans le titre de ce livre Mélenchon et le joli mois de mai. Ce que représentaient en Mai 68 Daniel Cohn-Bendit avec le 22 mars, Jacques Sauvageot avec l’Unef et Alain Geismar avec le Snesup, à savoir des symboles de la contestation, Jean-Luc Mélenchon avec la France insoumise l’incarne aujourd’hui, d’où son succès et aussi les attaques tous azimuts qu’il subit ».

Gérard Miller ne lésine pas. De Mélenchon il prend tout. Son passé, cette longue appartenance au PS ce parti honni, une addiction dont il a montré qu’il pouvait en renaître (« Mélenchon était aussi soûl que Bush jusqu’en 1986, drogué au PS comme d’autre à la coke »), et aussi sa récente distanciation par rapport à la référence gauche : « Car c’est là ce qui relie également Mélenchon au mouvement de Mai, sa capacité à dépasser le clivage gauche-droite en mobilisant les « gens«  bien au-delà de ceux qui se pensent à gauche ».

Au total, de quoi en faire bondir plus d’un. A l’évidence Gérard Miller n’en a cure, et au contraire s’en réjouit. Sans perdre du temps à argumenter davantage, lui qui aime à répéter malicieusement qu’en Mai 68 « la plupart d’entre nous ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez et qu’ils en étaient heureux ». Formule qu’il ne déteste pas s’appliquer à lui-même encore aujourd’hui (voir son entretien dans ContreTemps n°37).

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