Un vaccin bien commun. Macron l’a promis, Sanofi le fera ?

Entretien avec Thierry Bodin, Fabien Mallet, Jean-Louis Peyren (*)

 (*) Militants CGT, salariés de recherches et production de l’entreprise pharmaceutique de médicaments et vaccins, SANOFI, SANOFI Pasteur.

 ContreTemps : Entre la direction de Sanofi et Macron on a assisté à un feuilleton à épisodes : le vaccin sera disponible prioritairement pour les États-Unis, finalement non, suite au mécontentement exprimé par le président le PDG est revenu sur son propos, puis ce fut le grand show à Marcy l’étoile pour célébrer la création d’une nouvelle usine Sanofi, la relocalisation de certaines productions et la priorité à un vaccin anti-Covid… Et ensuite annonce d’un plan de restructurations et de suppressions de postes ! A quoi joue-t-on ?

 Thierry Bodin : C’est en effet un feuilleton et on ne peut être dans la tête de ses différents protagonistes, donc nous échappent sans doute certains éléments. Reste que l’argent mis sur la table par les États-Unis a servi d’argument pour faire accélérer le dossier et franchir certaines étapes. Suite au tohu bohu de l’annonce de la direction de Sanofi, comme quoi lorsque le vaccin serait disponible seraient privilégiés les États-Unis, a suivi la présentation d’un plan d’investissement concernant les vaccins. Et quinze jours plus tard, c’était le plan de restructuration. La direction de Sanofi et Macron se connaissent fort bien et on peut penser que tout cela n’a été ni improvisé ni concocté dans le dos des uns ou des autres.

Jean-Louis Peyren : Il faut plutôt parler de distribution des rôles et d’échanges de bons procédés. Sanofi a besoin de l’État pour recevoir des subventions pour la recherche et les investissements industriels, et Macron a besoin de Sanofi pour améliorer son image. Le 16 juin, à Marcy l’étoile, n’a-t-il pas, se tournant vers le PDG de Sanofi M. Hudson, conclu sa prestation par un « Merci Paul » ? Quant au plan de licenciements, il est venu plus tard… Bref, le Capital s’organise dans le cadre de bons rapports entre le secteur privé et l’État.

Fabien Mallet : Je suis d’accord, l’affaire du privilège réservé aux États-Unis, sur le mode « seront servis ceux qui auront participé financièrement », c’était une pression sur l’Union européenne qui rechignait à mettre de l’argent sur la table. Ce fut efficace, du point de vue des patrons, puisque l’Europe a annoncé verser entre 500 et 700 millions d’euros dans la lutte contre le Covid. Etant entendu qu’il y a deux fabricants concernés en Europe.

Donc un pas de deux qui permet à l’un et à l’autre de redorer son image, Macron se présentant comme celui qui fait revenir les entreprises en France, et Sanofi comme une entreprise à la pointe de la technologie. Mais tout cela sur le dos des salariés, car au total ce sont 1700 emplois en moins. Le coup de projecteur sur le bond technologique permet de dire que tout va bien, et que si on n’a pas parlé avant des restructurations c’est de la faute du Covid qui empêchait de se réunir. Mais pas de se concerter sur les plans mis sur pied !

Il y a le plan com’, mais pour la direction de Sanofi le cap est maintenu. Et il convient de s’inquiéter de l’accélération de l’automatisation : certes, on remet des usines en France, mais avec plus grand monde dedans. On va produire français, mais avec sept fois moins de salariés qu’avant !

A Neuville sur Saône, dans la nouvelle usine prévue on aura un atelier dit EVF entièrement automatisé, qui sera en capacité de produire en même temps 5 types de vaccins. En d’autres termes, 5 ateliers de Marcy (1400 salariés) seront remplacés par 1 atelier à Neuville (200 salariés). Pour toutes les productions de vaccins, c’est une chute brutale de l’emploi. A quoi il faut ajouter les 1700 postes supprimés par la sous-traitance des fonctions supports.

En fait Sanofi se désengage de tout ce qui lui coûte, de son point de vue, pour se focaliser sur ce qui peut rapporter vite et beaucoup.

J.-L. P. : L’externalisation de certaines productions par relocalisations en France et en Europe, permet de multiplier les captations d’argent public : subventions pour relocaliser, subventions pour fabriquer, et encore de l’argent via les remboursements par la Sécu…

Ce qui est dit pour les vaccins l’est également pour la chimie. La direction a expliqué qu’à Neuville, en matière d’emploi l’unité vaccins s’ajouterait à l’unité chimie. Résultat, par exemple on comptait 800 salariés Sanofi Neuville/Saône dans les années 2000 (Usine Sanofi Chimie), aprés une  transformation  en usine de chimie en  usine vaccin on ne compte plus que 145 salariés Sanofi-vaccin-Neuville/Saône, et dans les années à venir avec le projet d’investissement il y aura au mieux 300 travailleurs ! Donc vous voyez qu’entre les années 2000 et les prochaines années le compte n’y est pas, l’emploi chez Sanofi sur ce bassin est bien en baisse.

T. B. : La direction de Sanofi est en effet experte pour obtenir le maximum d’argent public. Le gouvernement débloque 100 millions pour le rapatriement de certaines productions, et 200 millions pour développer traitement et recherche du vaccin contre le Covid… Donc financement de l’unité EVF de Neuville sur Saône, et peut-être pour créer une entité de fabrication du paracétamol. Si les médicaments ce n’est pas très rentable, les vaccins en revanche sont très rentables. Pour ce qui est d’un éventuel vaccin contre le Covid, même si son niveau de rentabilité n’est pas prévisible, il représentera une formidable publicité pour qui le découvrira en premier.

 

CT : La nouvelle usine Sanofi peut-elle être un outil efficace pour accélérer la recherche d’un vaccin contre le Covid ?

F. M. : Ce n’est pas le but de l’usine de Neuville.

Le Ministre de la santé, Olivier Véran, a réajusté le calendrier annoncé du vaccin anti-Covid : début 2021 pour un vaccin partiel (protégeant à 60%), et 2022 pour un vaccin efficace (protégeant à plus de 80%). C’est exactement le calendrier de Sanofi. A croire que les deux vont main dans la main !

Pour produire ce vaccin il n’y a pas besoin d’une nouvelle usine, celle de Marcy en a la capacité, capacité gardée sous le coude pour cela d’ailleurs. Deux choses à préciser.

La première est que s’il s’agit d’un vaccin de type grippal, il faudra y recourir chaque année. C’est peu probable, car il semble que le Covid ne réinfecte pas une deuxième fois, donc le vaccin sera d’une efficacité de plus longue durée que celui contre la grippe. La seconde : l’OMS indique qu’il faudra fournir 550 millions de doses (par rapport à 7 milliards d’humains !). Sanofi dispose donc de la capacité de production d’un vaccin de type Covid. Reste bien sûr le problème que ce vaccin il faut le trouver ! Quant à la question qu’il faudrait pouvoir vacciner tous les humains, c’est un autre débat…

En fait, la création l’unité EVF relève d’une problématique bien différente. L’idée de base est qu’il faut une automatisation maximum pour éviter les interactions humaines dans le processus de production. Celles-ci sont en effet coûteuses, du fait d’interventions d’opérateurs en zone, qui doivent être formés, que des conditions d’asepsie s’imposent etc. D’où l’intérêt de robotiser les actions. Comme cela coûte très cher, il faut assurer la rentabilité. La solution c’est une énorme usine permettant de fabriquer 5 types de vaccins en même temps.

Cela implique de passer à des formes sur cellules, domaine dans lequel Sanofi est très en retard. Sanofi en effet a perdu en capacité d’innovation face à des concurrents qui vont deux fois plus vite pour produire des vaccins qu’ils peuvent vendre cinq fois plus cher. Il s’agit donc pour Sanofi de rattraper ce retard, en achetant (très cher) des laboratoires américains ou autres (un montant de 2 milliards pour les cinq dernières acquisitions). Du fait que la recherche a été sacrifiée ces dernières décennies, il faut se résoudre à un développement à partir de résultats obtenus par ces starts up. Avec de plus le fait qu’à la différence de l’Europe existe aux États-Unis la possibilité de travailler sur le génome, les cellules souches, ce qui ouvre la voie à des vaccins de nouvelles générations.

Le pari affiché est que d’ici 2040 avec l’EVF on va multiplier par deux le chiffre d’affaires, cela grâce à cette seule unité. Si ce pari est perdu, selon Sanofi ce sera la chute ! S’il est gagné, c’est la possibilité d’emporter jusqu’à 90 % du marché mondial des vaccins. Le plan de bataille est très offensif. Neuville doit permettre de multiplier par 3 la production de vaccins, pour couvrir les besoins de l’Europe et de l’Amérique du nord. Il sera complété par un autre projet à Shanghai pour répondre aux besoins en Asie. Et ainsi de suite ….

Il faut savoir que d’ici 5 ans l’augmentation de la demande en vaccins va être de 1 milliard de doses. Les besoins en Inde et en Chine explosent du fait de l’augmentation du niveau de vie des classes moyennes, celles-ci sont en attente forte de vaccins (grande différence avec la France !) et font pression sur les gouvernements pour qu’il y soit répondu.

Ajoutons que, par ailleurs, on ne produit plus de vaccins contre la rougeole, qui fait 600 000 morts par an, en majorité des enfants. Mais c’est en Afrique… Orientation financière, plus qu’autre chose.

 

CT : Au moins la direction Sanofi s’est engagée à ce que le vaccin lorsqu’il sera disponible le soit « à prix coûtant »

F. M. : Cela ne représente pas un trop grand sacrifice puisque tout cela est financé par l’argent public. Plus précisément il n’y aura pas de prix différenciels, c’est-à-dire de prix différents selon les pays. Par exemple l’hexaxim est vendu 8 fois plus cher en Europe qu’en Afrique du nord. Cet engagement du vaccin à prix coûtant a été pris auprès de l’OMS, et surtout répond au souci de ne pas ternir, par des questions d’argent, une image de marque.

 

CT : Comment expliquer que l’OMS limite l’objectif de la production de vaccins anti-Covid à 550 millions de doses, lorsqu’on sait que c’est toute l’humanité qui est concernée ?

F. M. : L’OMS n’a pas de pouvoir de décision, elle coordonne. Elle se tourne vers les groupes pharmaceutiques, qui disent combien ils peuvent produire : réponse 550 millions de doses. C’est une simple addition, en fonction du cadre fixé par ces derniers. Les starts up tournent à fond, mais les capacités de production ce sont les industries du Big Pharma qui en disposent. Lesquelles sont comme des requins baleines prêts à avaler tout ce qui passe…

En fait ce sera davantage, car ainsi on couvre à peine les besoins des Etats-Unis et de l’Europe. Reste qu’une vraie politique de santé publique mondiale demanderait qu’on augmente considérablement les capacités de production.

 

CT : En matière de problèmes liés au vaccin, celui contre la dengue n’a-t-il pas représenté une expérience cruelle pour Sanofi ?

F. M. : Le vaccin contre la dengue, une grande aventure ! Pour conquérir le marché on est allé vite, trop vite. Le vaccin est efficace comme vaccin partiel (qui couvre à 65%), ce qui veut dire que même vacciné on peut être contaminé. On pouvait espérer que dans ce cas ce serait sous une forme bénigne. En fait il est apparu que dans ce cas le vaccin agit comme une primo infection, comme si c’était la deuxième contamination. Ce n’était pas prévu et ça peut vouloir dire que les tests n’ont pas été assez poussés. Or, dans le cas de la dengue la seconde infection est plus grave que la première. Du coup le vaccin est en stand by, 1 milliard de doses en stock. Et on développe les tests pour pouvoir vacciner les personnes qui ont été contaminées une première fois, donc qui sont séropositifs à la dengue.

La dengue peut contaminer 4 fois, selon 4 valences, et à chaque fois de manière plus violente. Il y a donc une vraie attente par rapport à ce vaccin.

La leçon a été tirée, pour l’EVF on travaillera à priori sur des vaccins qu’on connaît bien. Il s’agit d’assurer !

 

CT : Quelles évolutions sont à prévoir pour les personnels de Sanofi dans les années à venir ?

F. M. : La problématique de l’automatisation est incontournable, mais sans répartition de la richesse ni diminution du temps de travail elle conduit à une destruction de l’emploi. On va avoir des emplois très qualifiés, mais ceux peu diplômés / qualifiés, correspondant à une formation en interne, ils vont disparaître.

J.-L. P. : C’est tout un projet de société qui demanderait à être mis en place. Les dirigeants aiment bien nous répèter :« à la CGT, vous êtes toujours contre tout » et nous inviter à « changer de logiciel ». C’est eux qui doivent changer de logiciel : car toute arrivée de nouvelle technologie rime avec réductions d’effectifs, suppressions de postes, chômage, pour plus de profits… N’est-ce pas un très très vieux logiciel ? Nous, nous souhaiterions que cela rime avec réduction du temps de travail, bien être au travail…

 

CT : Le Président Macron l’a déclaré solennellement : le vaccin contre le Covid, lorsqu’il sera trouvé devra être considéré comme un « bien commun » de l’Humanité. Il semble que comme pour le médicament, on en est loin.

F. M. : Le médicament est un « bien commun »… Réservé à ceux qui peuvent payer ! Les estimations sont là (chiffres de l’OMS !), chaque année 500 millions de morts dans le monde pourraient être évitées, si les vaccins et les médicaments, ainsi que les soins, étaient fournis à qui en a besoin.

En France on ne voit pas forcément clairement cette réalité, parce qu’on a la Sécu, qui oblige à négocier les prix des médicaments. Car ces prix ils sont fixés par les firmes. Leur rêve c’est le rêve américain : des multinationales qui fixent le prix des médicaments en accord avec les assurances, un deal entre acteurs privés.
Que le prix du médicament décide de l’accès aux soins, c’est aberrant !

J.-L. P. : Dès lors qu’un médicament est sous brevet cela signifie qu’il est un bien privé, et de surcroît un bien marchand. Bien évidemment ce devrait être un bien commun, et non une marchandise disponible pour le plus offrant.

 

Propos recueillis par

Danielle Montel et Francis Sitel

 

Previous post En mémoire de Henri Weber
Next post Mondialisation, métropolisation et santé humaine