Pour commémorer le début de la Commune, Paris Normandie du 18 mars 2021 publie « Éphémère Commune normande », signé François Vanhove. [voir les références complètes à la fin de l’article, désormais signalées par *]. Le journaliste semble s’être contenté d’interviewer Robin Michel, présenté comme un étudiant de l’Université de Rouen qui prépare un mémoire sur la Normandie et la Commune. L’article fait d’une petite action dans le village de Hautot-Saint Sulpice, près d’Yvetot, la seule véritable adhésion aux idéaux de la Commune dans la région, et dit bien peu de choses sur Le Havre. Il n’est pas rare que des auteurs qui utilisent les archives conservées à Rouen intitulent leur étude « Tel ou tel sujet en Normandie », alors qu’elle contient essentiellement des informations sur Rouen et ses environs.
Or, dans la période qui précède et suit la Commune de Paris les choses sont très différentes dans les deux villes normandes. Par exemple, c’est autour de ces événements que les élus havrais obtiennent du chef de l’exécutif (Léon Gambetta d’abord, puis Adolphe Thiers), la promesse de créer un nouveau département de Seine-Maritime, chef-lieu Le Havre, distinct de celui de Seine-Inférieure, chef-lieu Rouen. Les tensions anciennes entre les deux villes se réveillent à cette occasion, comme elles ont refait surface tout dernièrement avec la création d’une région Normandie unique et le regroupement des ports de l’Axe Seine dans Haropa.
Certes, en dehors de l’initiative des habitants d’Hautot Saint Sulpice, près d’Yvetot, rappelée par M. Vanhove, nous ne connaissons pas de réplique de la Commune de Paris en Normandie. Rien en tout cas de comparable aux « Communes de province » comme celles de Saint-Étienne, Le Creusot, Marseille, Narbonne et d’autre dont les Amis de la Commune de Paris nous parlent (*). Néanmoins, la sympathie pour la Commune dépasse cette modeste tentative d’imitation un peu littérale du mouvement parisien. Il existe des travaux sur ce qui s’est passé au Havre avant, pendant et après la Commune de Paris, qui montrent qu’elle faisait partie d’un grand élan de la classe ouvrière et des couches alliées à elle dans toute la France. Ici, nous voulons simplement rappeler les événements de cette période dans la Pointe de Caux, quelques travaux que nous avons recensés et l’intérêt de ce grand moment de l’histoire.
La situation en janvier 1871, dans la Pointe de Caux
Quand l’armistice de Versailles a été signé le 28 janvier 1871, Le Havre se trouvait dans la même situation que Paris : une grande ville française encerclée par les armées allemandes, mais non conquise. En effet, la municipalité d’Ulysse Guillemard, élue en août 1870, avait organisé la défense de la Pointe de Caux (front situé environ de Lillebonne à Bolbec et Fécamp) avec succès. Elle s’était appuyée sur des comités para-municipaux, la garde nationale et des éléments de la marine, mais aussi et surtout sur des comités démocratiques et des corps francs. Les Havrais aimaient comparer la résistance de leur ville à la reddition de Rouen.
Le peuple contre le gouvernement de Versailles
La désignation d’Adolphe Thiers comme chef du gouvernement par les députés réunis à Versailles souleva la méfiance de nombreux républicains dans toute la France. C’est pour déjouer ses manœuvres que la garde nationale parisienne s’opposa à l’armée venue saisir les canons de Montmartre, le 18 mars 1871, acte qui marqua le début du conflit armé. L’initiative de la garde nationale reçut l’approbation des électeurs parisiens lors des élections à l’assemblée de la Commune de Paris le 26 mars.
Au Havre
Représentant l’arc des opinions républicaines, la municipalité du Havre critiqua d’abord la garde nationale parisienne. Mais devant le durcissement du gouvernement versaillais, et surtout devant la sympathie que la Commune évoquait à Paris et dans de nombreuses régions, y compris au Havre, elle adopta une attitude de conciliation entre Versailles et la Commune. Elle suscita des missions de médiation qui se rendirent à Paris et Versailles.
Division de classe
Mais la polarisation était si forte que les républicains avancés de la Porte Océane se déclarèrent en faveur de la Commune. Des volontaires havrais partirent à Paris rejoindre les rangs de la Commune où ils retrouvèrent sans doute de nombreux Normands qui s’étaient établis dans la capitale depuis un certain temps et avaient participé aux événements récents. Ils restaient minoritaires, une bonne partie des couches populaires faisant encore plus ou moins confiance aux négociants républicains ; mais non négligeables car leurs arguments en faveur des mesures laïques et sociales et des libertés communales portaient bien au-delà de leurs électeurs. Le Dictionnaire Maitron ouvre des pistes pour mieux connaître cette effervescence à partir de militants comme Albert Détré ou Eugène Schlosser du Comité central républicain de solidarité (*).
Face à eux, une partie des républicains bourgeois décidèrent de participer à la répression de ce nouveau gouvernement populaire. Ainsi Jules Siegfried écrivit dans son journal : « Avec de pareils malfaiteurs, il n’y a rien à espérer ; la mort seule peut les corriger et par la mort d’un pervers de cette espèce on sauve la vie de cent honnêtes gens » (*extrait du 9 avril 1871, cité par Ardaillou, Les Républicains…, chapitre 2, note 114). À l’appel de Versailles, les sapeurs-pompiers du Havre se rendent à Paris. Félix Faure les accompagne et se réjouit de l’écrasement des Communards (*Legoy, Le peuple du Havre, III, p. 92). Pendant toute l’année 1871 et même au-delà, la police arrêta des sympathisants de la Commune, ou des réfugiés fuyant la répression.
Mémoire de la Commune au Havre
Pendant environ six ans, le mouvement émancipateur au Havre fit profil bas ou soutint les républicains qui s’opposèrent à l’Ordre moral, une tentative de ramener une forme de monarchie autoritaire. Des corporations ouvrières et des sociétés républicaines se formèrent. Mais la rupture politique avec les républicains bourgeois s’étala sur plusieurs décennies. Ce n’est qu’en 1879 et 1880 que les lois d’amnistie permirent le retour des prisonniers et exilés. On put alors débattre plus librement des leçons de la Commune. Louise Michel, héroïne et survivante de la Commune, fut invitée plusieurs fois au Havre. Elle y fit même l’objet d’une tentative d’assassinat en 1888.
Leçons de la Commune
La Commune n’avait pas été inspirée par un courant idéologique homogène. Elle regroupait des républicains sociaux, des humanistes, des internationalistes, des partisans de Louis Blanc, Auguste Blanqui, Joseph Proudhon, Karl Marx et Michel Bakounine, pas forcément d’accord avec leur maître à penser sur tout. Au-delà, de nombreux sympathisants, comme Victor Hugo, apportèrent un soutien occasionnel. Quand il s’agit d’en tirer les leçons par la suite, la plupart des anciens Communards s’entendirent sur quelques principes de base : l’amnistie, la laïcité, la démocratie, la nécessité de l’organisation ouvrière, l’objectif de remplacer le système économique capitaliste par une économie plus collectiviste. Un mémoire de maîtrise d’histoire a été écrit sur le déroulement de ces débats au Havre, « Qui parlera pour la Commune ? Étude des représentations de la Commune de 1871 à travers la presse ouvrière havraise de 1880 à 1922 » (*).
Ces débats sont précieux. Cent cinquante ans plus tard, ils restent pertinents : beaucoup des fondamentaux de l’époque restent en place aujourd’hui à l’ère de la mondialisation de la production capitaliste. Il faut naturellement les compléter par une réflexion sur les phénomènes nouveaux comme le désastre écologique causé par l’essor du capitalisme. Mais même pour cela, la Commune a des choses à nous enseigner, comme par exemple le fait qu’il y a un camp des opprimés dans lequel tous sont sœurs et frères, doivent s’écouter avec respect et faire front ensemble contre les oppresseurs. Un retour sur les leçons de la Commune nous est proposé par Michael Löwy dans un petit article, « La Commune de Paris de 1871 et les débats qu’elle a suscités » (*). La discussion est ouverte.
John Barzman
Références des travaux cités ou recommandés :
Sur Le Havre
Pierre Ardaillou, « Chapitre 2. Les années d’attente : un îlot républicain dans une France encore indécise (septembre 1870-1876) », Les Républicains du Havre au XIXe siècle (1815-1889), Mont-Saint-Aignan: Presses universitaires de Rouen et du Havre, 1999. Sur Internet: DOI: https://doi.org/10.4000/books.purh.7874.
« Les Communes en province » Dossier des Amis de la Commune de Paris, https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/dossier-thematique/les-communes-en-province?start=7
Jean Legoy, Le peuple du Havre et son histoire. Tome 3 : Du négoce à l’industrie 1800-1914, la vie polititique et sociale, Le Havre : EDIP, 1984, pp. 63-93.
Claude Malon, Jules Le Cesne, député du Havre, 1818-1878, Luneray : Bertout/ La mémoire normande, 1995.
Didier Nourisson, « Le Havre et la Commune de Paris », Recueil de l’Association des Amis du Vieux Havre, 1990, n° 41, p. 27-38.
Isabelle Raynaud, « Qui parlera pour la Commune ? Étude des représentations de la Commune de 1871 à travers la presse ouvrière havraise de 1880 à 1922 », mémoire de maîtrise, Université du Havre, 1998. Prix Jean Maitron 1999, Paris, Cahiers du Centre Henri Aigueperse, n° 31, 2000.
François Vanhove, « Éphémère Commune normande », Paris Normandie 18 mars 2021. Photocopie à https://v4.simplesite.com/#/pages/448878838?editmode=true#section_7f95e4c1-d7b6-4a7d-bb54-11177a10b43c
Sur la Commune en général :
Patrick Le Moal, « La Commune au jour le jour », http://www.contretemps.eu/author/patrick-le-moal/
Michael Löwy, « La Commune de Paris et les débats qu’elle a suscités » (2011) http://npa.jeunes.free.fr/spip.php?article555
Le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier mouvement social, https://maitron.fr/spip.php?page=recherche_avanc&swishe_type1=and1&swishe_from1=full1&lang=fr&choix=2&typetri=triP&swishe_exp1=bakounine&OK=OK
Vaste rubrique à enrichir !
[article mis en ligne le 2 avril 2021 par John Barzman]
http://ensemble-le-havre.eklablog.com/1871-le-havre-et-la-commune-a207308140