C’était la Ligue !… Et ce ne fut pas un « long fleuve tranquille »

Armand Creus

 Une fois refermé le livre, c’est une étrange impression que laisse ce « retour vers le passé », 50 années de militantisme, l’engagement d’une vie pour beaucoup d’entre nous, nos vies, ma vie…

Oui, c’était cela : une grande complicité, une intense camaraderie, des moments de bonheur, partagés ou solitaires… Mais ce n’était pas que cela. Le récit est quelque peu simplifié de ce qui était si compliqué. Un peu trop de « rondeurs », alors que c’était aussi sec, rude et dur de militer à la Ligue. Et ça rendait dur, d’une dureté dont il a fallu, pour ce qui me concerne, apprendre à se défaire (devenir minoritaire par rapport à l’orientation nationale – alors que l’on reste majoritaire à Lyon –, voilà qui aide et éduque).

Si cela on ne le trouve pas dans l’ouvrage, n’empêche que c’est un livre honnête qui restitue les grandes étapes de la vie de la Ligue : depuis les balbutiements du gauchisme juvénile « trotsko- guevariste » conquérant (1) jusqu’à la                   « vraie/fausse » dissolution/création du NPA en 2009 (2). Honnête, captivant, éclairant, mais sous l’éclairage d’une sensibilité politique, celle du « Groupe de Travail ». Non pas « l’Histoire de la LCR », mais une (belle) histoire.

Une ample remémoration

D’abord donc une ample remémoration : celle d’un voyage dans la « Ligue express, direction Octobre 17 », avant bifurcation par « l’alternative antilibérale » en 1986, puis le terminus NPA en 2009. Une remémoration de ces temps et des traces des chemins des possibles, celles des choix politiques effectués, avec leur succès, leurs embardées et leurs échecs. Cela à la lumière des grands évènements qui ont bouleversé l’ordre du monde et notre propre vision de sa transformation, surtout à partir de la chute du Mur de Berlin en 1989.

Ce livre est un coup d’œil utile sur le passé, balayant un demi-siècle de luttes, de débats d’orientation. Et de la construction d’une organisation qui a joué un rôle dans le combat pour l’émancipation, dont nous n’avons pas à rougir en effet, même si sa fin fut aussi un « crève-cœur » pour certains et certaines d’entre nous.

Voici ce que j’ai écrit à ce sujet (3) : « Nous assistons bien cette année 2009 à une « fin de partie » pour la Ligue et sa place dans le champ politique et social. La Ligue c’est fini, au profit d’un NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste). À ce jour, ce NPA est en fait toujours un OPNI (objet politique non identifié), qui a échoué à combler seul – comme c’était son ambition affichée – le vide sidéral dans le camp de la gauche… d’une gauche digne de ce nom, tout simplement. Son congrès national de constitution en janvier 2009 a été, simultanément… congrès de liquidation de la LCR par « pertes et profits » ».

J’avais cru possible pour elle une fin plus noble, dans une démarche plus rassembleuse, avec un signal plus fort, pluraliste et davantage « lisible » au-delà d’un élargissement à partir d’une majorité des seuls cadres historiques de la LCR comme seule composante politique.

Sentiment d’un immense gâchis…

Cependant, ce qui importe c’est de continuer le combat avec une ambition de rassemblement unitaire et majoritaire pour la transformation sociale.

Pour ce qui est des choix, je m’en réfère à René Char : « Décide seul de la tactique. Ne te confie qu’à ton sérieux ». Personnellement j’ai choisi avec d’autres camarades, au printemps 2009, de créer Gauche Unitaire, comme 3ecomposante du Front de Gauche aux côtés du PCF de Marie-George Buffet et du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon.

Un certain malaise…

J’ajouterai qu’il ressort aussi de la lecture de C’était la Ligue un certain malaise, qui appelle une exigence de lucidité. De mon point de vue, tout est vu de « trop haut » parce que l’histoire de la Ligue ne saurait se résumer à l’histoire de sa/ses direction(s) nationale(s), ce que privilégient trop les auteurs. Le livre nous laisse sur notre faim quant au rôle et à la place de la « chair militante » de la Ligue au niveau des secteurs d’intervention et des villes, ne nous en donnant qu’un aperçu trop « unilatéral ».

Quatre exemples :

° La répression du mouvement des soldats… et aussi de leurs soutiens politiques.

À propos de la mobilisation pour les droits démocratiques dans les casernes n’est pas mentionné le fait qu’au-delà de la vague de répression chiraquienne qui toucha, bien évidemment en première ligne, les soldats organisés en comités et les militants qui les impulsaient, les syndicalistes qui les soutenaient, elle frappa aussi des militants politiques et responsables de la LCR, du PSU, des CCA ou libertaires, lesquels développaient une active solidarité en direction de l’opinion publique, à travers les CDA par exemple. En la matière, l’expérience de la LCR lyonnaise dans les années 1975 peut témoigner.

° Le travail syndical CGT en débat dans la Ligue.

Dans le cadre de l’intervention syndicale qui occupe à juste titre une place centrale dans le livre, très peu est dit sur le travail spécifique développé pour mieux comprendre les évolutions de la CGT et dans la CGT. Cette « préoccupation CGT » ne saurait se réduire à des positions figées de tendance, elle relève plutôt d’un « volontarisme de francs-tireurs » ( mon expérience des responsabilités locales et nationales sur une quinzaine d’années au sein de la CGT des Services publics territoriaux m’en a convaincu). Ainsi, au moment de la création des SUD, qui coïncida avec la chute du Mur de Berlin, un débat important eut lieu quant à l’appréciation des évolutions positives dans la CGT, de la base au sommet. Lesquelles lui ont permis de rester un élément clé de la recomposition syndicale, alors que d’aucuns avaient pronostiqué son affaissement lié au déclin du PCF, ce au bénéfice d’un développement irrésistible de Solidaires. La réalité s’est avérée plus équilibrée . Il est  heureux que nous n’ayons pas « lâché » une intervention au sein de la CGT, cela de la base au sommet, y compris lors des congrès confédéraux clés de la « déstalinisation », dont celui de 1995 en plein mouvement gréviste. Lors de ce congrès, les délégués qui étaient membres de la LCR ont joué un rôle non négligeable. Dommage que ce débat n’occupe pas dans le livre la place qu’il mérite.

° Les enjeux de la décentralisation et de la recomposition des territoires.

Enjeux pour la construction d’un État libéral mais aussi pour le renouveau d’une stratégie de transformation sociale, les question de la décentralisation et des réformes territoriales au service du nouveau capitalisme mondialisé, ont été largement absentes des préoccupations centrales de la Ligue. Or elles on eu des effets sur les Services publics avec l’émergence d’une importante Fonction publique territoriale préparant les phénomènes de la métropolisation. Certaines villes y ont été confrontées. Sous la houlette de Michel Noir, Raymond Barre et Gérard Collomb, Lyon par exemple fut un terrain d’expérimentation. En témoigne la trajectoire de la Communauté Urbaine de Lyon vers la « Métropole de Lyon » qui en a fait un « laboratoire » de la macronie.

° Que sont les permanents devenus ?

Il est dit justement que l’on a privilégié des « demi-permanents » plutôt que des permanents à temps plein. Les auteurs n’y sont pour rien, mais il est regrettable que des leçons collectives n’aient pas été tirées de leur « fonctionnalité » dans la construction des secteurs d’intervention et des « grosses villes », ainsi que des processus de reconversions professionnelles dont beaucoup ont relevé du « système D ». La réflexion vaut aussi pour ce qui est des déplacements militants et de la politique d’embauche pour la construction de la Ligue.

Mais l’essentiel est que ce livre est vivant et captivant, jamais austère car toujours en prise avec le « carburant » de la Ligue : les luttes et mouvements sociaux, écologiques, féministes, démocratiques, d’émancipation et les ébranlements majeurs des 50 derniers années qui ont façonné notre monde actuel. La Ligue fut « actrice » et jamais « spectatrice ». Quant à peser sur les évènements, c’est une autre affaire…

Lyon, août 2019

 Notes :

(1) En phase avec l’air du temps (années 1970 et débats autour du BI n° 30).

(2) N’est-ce pas un seul courant politique issu de la Ligue qui a constitué la matrice du NPA ?

(3) Extrait page 144. Coïncidence ? L’année 2009 de la dissolution de la Ligue (et du 70e anniversaire de la « Retirada»), j’ai terminé l’écriture d’un livre, Sincèrement et sans ornements. Il se veut un témoignage personnel et une réflexion sur l’engagement politique et sa transmission. Il ne s’agit donc pas d’une histoire de la Ligue mais d’un éclairage sur la question de l’engagement à partir d’une trajectoire militante longue, de la création de la Ligue Communiste à la dissolution de la LCR en 2009, avec une expérience de 36 années de militantisme à Lyon, similaire à celle de mon camarade et ami Denis Marx, lui originaire de Rouen.

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