LOI DE PROGRAMMATION DE LA RECHERCHE (LPR)

La recherche marchandisée, précarisée et mise au pas :

Bon courage à ses travailleurs et à ses travailleuses !

 À la suite de la parution du numéro 47, nous mettons en ligne l’introduction de son dossier consacré aux luttes récentes (et moins récentes) de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR) contre la Loi de programmation de la recherche (LPR). Cette introduction est ici publiée dans une version actualisée. En effet, l’assassinat de Samuel Paty survenu le 16 octobre dernier et la vague de discours réactionnaires qui s’en est suivi, ont profondément bouleversé le contexte politique du pays. Au climat raciste qui stigmatise une nouvelle fois les personnes musulmanes (ou catégorisées comme telles), s’est ajouté un air de maccarthysme, notamment véhiculé par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer1, qui accuse la responsabilité des               « islamo-gauchistes » de l’Université.

 Ainsi, ces événements ont sans aucun doute pesé dans les derniers moments de discussion du projet de loi au Sénat, où plusieurs amendements portant explicitement atteinte aux libertés académiques ont été adoptés sans vraiment rencontrer d’opposition. En plus de participer à une marchandisation et à une précarisation accrues de l’ESR, la LPR exprime désormais une reprise en main progressive du pouvoir politique sur les institutions académiques. Aux charognards des lobbys privés et de la technocratie néolibérale s’ajoute à présent une autre espèce de rapaces : les défenseurs d’un nouvel Ordre moral, raciste et islamophobe, qui n’ont jamais vraiment caché leur prétention à mettre l’Université au pas2. Dans ce contexte, nous nous devions d’introduire les contributions publiées dans notre dossier, en préparation depuis avril dernier, selon une tonalité légèrement différente tout en renseignant les derniers faits d’actualité sur la LPR3. Sur notre site internet, de nouveaux contenus viendront d’ailleurs compléter et enrichir les contributions de la revue récemment publiée.

 Face à la menace dun délitement accru des liens qui nouent les personnels de lESR entre elles et eux menace générée par leur marchandisation et leur précarisation à marche forcée lheure est plus que jamais à lauto-organisation de collectifs désireux de défendre des espaces de production et de circulation démocratiques des savoirs, matériellement et socialement autonomes du marché, des pouvoirs politiques et bureaucratiques.

 

LPR : actes et fin ?

Depuis la fin de l’année 2019, parallèlement à une contestation d’ampleur de la réforme des retraites, le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) se mobilise contre un énième projet de réforme néolibérale : la LPR, ou loi de programmation de la recherche4. Après avoir ignoré les revendications de la communauté scientifique, essuyé les avis défavorables des différents comités consultatifs, et profité de la désorganisation générée par l’épidémie de Covid-19 dans les établissements d’enseignement supérieur, la ministre Frédérique Vidal a dès le début opté pour le choix du passage en force. Courant août, afin de ne pas « encombrer » un agenda parlementaire déjà perturbé par la situation sanitaire, le gouvernement engage la procédure accélérée pour son projet de loi. Il ne fera l’objet que d’une seule lecture par chambre, privant donc la procédure d’une seconde discussion à l’Assemblée nationale. Le 24 septembre 2020, tard dans la soirée, le texte est sans surprise massivement voté en première lecture par des députés de la majorité venus pour faire nombre. Il faudra donc attendre le 28 octobre prochain pour que le projet de loi soit discuté au Sénat, où la configuration politique diffère légèrement de celle de l’Assemblée, pour peut-être espérer de maigres concessions arrachées in extremis au gouvernement.

En particulier, comme le suggérait alors la rédaction du blog Academia5, ces discussions auraient pu permettre de réaffirmer, et de mieux définir, le principe historique de           « liberté académique », que le projet de loi en l’état menaçait déjà sérieusement. Or, le scénario de la soirée du 28 au 29 octobre fut pire que les pires scénarios jusqu’alors envisagés. Au lieu de défendre le principe de liberté académique, les discussions de cette soirée n’ont fait que l’enfoncer en quelques amendements seulement, comme le raconte avec colère et émotion le même blog Academia6, très actif depuis le début de la réforme. Premièrement, la sénatrice Les Républicains, Laure Darcos, propose à travers l’amendement n° 234 que « “les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République”, au premier rang desquelles […] figure la laïcité »7. Intervenant une dizaine de jours seulement après l’assassinat de Samuel Paty et la vague de discours racistes et réactionnaires qui s’en est suivie, il s’agissait donc de régler le sort des « islamo-gauchistes » jugés responsables de l’attentat.

Deuxièmement, avec l’amendement n° 147, les sénateurs et sénatrices de droite, sous couvert de défendre les libertés académiques (sic), introduisent dans le code pénal une disposition nouvelle, propre aux établissements d’enseignement supérieur, qui sanctionne d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un [tel] établissement sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but d’entraver la tenue d’un débat organisé dans les locaux de celui-ci »8. Comme le précise Academia, le plus choquant est ici la liberté d’appréciation rendue possible par l’amendement ainsi formulé : « Un an de prison ! Non pas, précisons-le, pour entrave à la tenue d’un débat, mais pour une intention d’entrave. C’est totalement disproportionné. Dans la droite lignée d’un mouvement général de pénalisation du monde universitaire, c’est une arme atomique qui est ici créée, ouvrant la porte à toutes les dérives que sauront imaginer des président·es d’établissement toujours plus autoritaires »9.

Enfin, loin de s’arrêter en si bon chemin, un autre amendement est alors discuté à plus de minuit passé. Celui-ci vise à contourner le Conseil national des universités (CNU), instance historique en partie élue, organisée en sections représentatives de chaque discipline fonctionnant de façon collégiale, chargée d’assurer la gestion des carrières des enseignants-chercheurs depuis la Libération. Jusqu’alors, afin de pouvoir être recruté en tant que Maître de conférence (MCF) ou Professeur des universités (PU) dans un établissement d’enseignement supérieur, les candidats et candidates devaient préalablement obtenir une qualification accordée par le CNU. Cette dernière certifie la reconnaissance par les pairs du candidat ou de la candidate dès lors jugé-e apte à pouvoir enseigner dans sa discipline de référence.

Or, l’amendement voté cette nuit-là apporte les modifications suivantes : la suppression de l’exigence d’une qualification par le CNU pour les MCF désirant postuler aux postes de PU, et la possibilité laissée aux établissements, à titre expérimental jusqu’en 2024, de déroger à la règle de la qualification pour recruter des MCF. Si le CNU est régulièrement critiqué pour son conservatisme disciplinaire, voire son inutilité académique, celui-ci constituait jusqu’à présent l’une des rares instances représentatives de la communauté scientifique. À la différence d’autres institutions, comme le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), dont l’orientation dépend étroitement des choix du pouvoir exécutif, le CNU pouvait ainsi jouer le rôle d’un contre-pouvoir de la communauté scientifique face au pouvoir politique et bureaucratique de l’ESR10. Or, avec cet amendement, le recrutement des MCF et des PU sera davantage libéralisé et dépendra de plus en plus des choix des comités de sélection locaux, au risque des copinages et des pratiques clientélistes locales, au risque même de s’affranchir des normes de légitimité scientifique.

Réunie le 9 novembre, la Commission mixte paritaire (CMP), composée de vingt-huit parlementaires, a finalement scellé le sort de ces amendements scélérats. Or, comme l’analyse la rédaction d’Academia, il s’agit ni plus ni moins ici du « choix du pire contenu possible »11. Pour cause, si la CMP n’est pas revenue (ou très peu) sur le contournement de la CNU, seul l’amendement portant sur les libertés académiques a réussi à être complètement neutralisé. En revanche, l’amendement n° 147 pénalisant les intentions d’« entrave à la tenue d’un débat » au sein d’un établissement d’enseignement supérieur se voit aggravé. Désormais, l’amendement élargi prévoit de pénaliser « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité […] ou y avoir été autorisé […], dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement », et « par un simple jeu de renvoi entre dispositions du code pénal, que lorsque ce délit “est commis en réunion, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende” »12. Pour Academia, cet article risque d’annoncer « la fin pure et simple des contestations sur les campus et la porte ouverte à toutes les dérives autoritaires » des présidences d’Université, et constitue plus largement « une autoroute pour la reprise en main des Universités, et une attaque très directe – une de plus – contre les vieilles franchises universitaires »13.

Si pour Julien Gossa les dispositifs prévus par ce dernier amendement ont peu de chance d’être appliqués, au risque de « mettre le feu aux poudres »14, quels recours légaux demeurent pour stopper la LPR ? Pour la rédaction d’Academia15, il est toujours possible d’espérer un alignement des astres pour qu’une pression suffisante sur l’exécutif amène ce dernier à retirer son texte ou, au moins, retrancher certains articles. Rien n’interdit également les deux chambres de voter contre le texte. Mardi 17 novembre, si l’Assemblée nationale a très majoritairement voté pour, une dizaine de députés Les Républicains se sont ralliés aux votes d’opposition des groupes parlementaires de gauche, preuve que le débat n’est toujours pas clos (n’en déplaise à la ministre), et que les positions dépassent les clivages politiques traditionnels. En attendant le vote du Sénat le vendredi 20 novembre, le plus vraisemblable sera donc d’attendre l’avis du Conseil constitutionnel suite au très probable dépôt d’une saisine par les parlementaires de gauche. S’il y a malheureusement peu d’espoir, les communautés de l’ESR sont dans tous les cas appelées à se mobiliser massivement dans les prochains jours, en particulier le mardi 24 novembre16.

Quel que soit le résultat des courses, la méthode utilisée par la macronie agit une nouvelle fois comme un violent et profond mépris adressé à un secteur du service public qui refuse les réformes néolibérales qui lui sont imposées. La séquence de ces derniers mois a d’ailleurs montré que la technocratie macronienne, loin de se satisfaire du niveau d’infamie atteint, était même prête à surenchérir dans le degré de cynisme et de manipulation. Après avoir conditionné de maigres et très relatives revalorisations salariales – concédées aux syndicats jaunes de l’ESR17 – au vote intégral de la LPR au Parlement, des observateurs et observatrices attentives à l’actualité législative se sont rendus compte que le gouvernement prévoyait très probablement de financer l’augmentation du budget de la recherche sur les dix prochaines années, effort jugé        « sans précédent depuis 1945 »18 (sic), en transférant l’argent économisé grâce… à la réforme des retraites qui prévoit d’intégrer les fonctionnaires dans le régime général des retraites où les cotisations employeurs y sont plus faibles (17 % contre 74 % actuellement)19.

Autrement dit, si cette pirouette comptable tendait à se vérifier dans les prochains mois, « largent des retraites des personnels de la recherche risque[rait] fort de servir à financer leurs travaux de recherche et primes, mais aussi et surtout, les travaux de recherche et primes de ceux jugés plus performants queux »20. En effet l’une des particularités de la LPR est précisément d’accentuer la part discrétionnaire dans l’attribution des primes (dont une partie sera décidée par les chefs d’établissement) ainsi que la mise en concurrence des budgets permettant de financer les projets de recherche et les établissements.

Pour une mémoire des luttes de lESR

Bref, il ne s’agit pas ici de discuter davantage du contenu de la loi qui sera bien mieux présenté et synthétisé dans les pages du dossier de la revue, en particulier par nos camarades de Sauvons lUniversité ! et le récit de Philippe Blanchet. Ces premières lignes d’introduction servent surtout à relayer les derniers faits d’actualité que les contributeurs et contributrices de ce dossier n’ont pu prendre en compte dans leur rédaction. En effet, l’idée de sa réalisation est surtout née d’une grande frustration éprouvée lorsque, après une mobilisation nationale prometteuse le 5 mars 2020, journée pendant laquelle l’Université et la Recherche étaient appelées à s’arrêter, le confinement général lié à l’épidémie de Covid-19 est venu brutalement stopper un élan collectif de réflexions et de prise de conscience, en aggravant par ailleurs la précarité de nombreux travailleurs et travailleuses de l’ESR privé-es de revenus, y compris bien sûr chez les étudiants et étudiantes. Malgré quelques initiatives plus individuelles à travers les Brigades de solidarité populaire, et la volonté du Comité de mobilisation nationale des Facs et Labos en lutte de poursuivre la mobilisation à distance, la situation a contraint le mouvement à se mettre entre parenthèses, ce qui n’a pas empêché Vidal et ses sbires de profiter du contexte pour poursuivre leurs œuvres.

Tout en éclairant les enjeux politiques de la LPR, le projet de dossier se proposait plus particulièrement d’inscrire ces luttes dans le prolongement de celles menées dans les années post-Mai 68, moment des premières massifications universitaires, jusqu’à celles plus récentes de la fin des années 2000, en grande partie marquées par les mobilisations massives (mais vaines) contre la LRU21 entre 2007 et 2009, tournant majeur dans l’orientation néolibérale des Universités. Si les discours portés par ces mobilisations peuvent varier en fonction du contexte socio-historique, ces dernières ont la particularité de ne plus présenter les sciences comme des « êtres magiques », sûrs d’eux mêmes, évoluant hors de la société. Elles apparaissent à chaque fois comme étant le produit d’une activité simplement humaine, traversée par des relations de pouvoir, de domination et d’exploitation à l’intérieur d’une économie capitaliste dont les structures et les modes de gouvernance évoluent dans le temps. Or, malgré la richesse des réflexions menées22 à l’occasion de mobilisations parfois très intenses, force est de constater que les luttes dans l’ESR n’ont pas vraiment réussi à constituer et à transmettre, de générations en générations, une « mémoire » de ces expériences vécues, dans les défaites comme dans les victoires.

Qu’entendons-nous par « mémoire » ? Ce dont il est question ici n’est pas à confondre avec un « passé réifié par une industrie culturelle qui détruit toute expérience transmise »23 et qui, au passage, escamote complètement les horizons d’attente des acteurs de l’époque, comme il est généralement coutume dans la plupart des commémorations institutionnelles. Pour reprendre les réflexions développées par Enzo Traverso à partir des écrits de Walter Benjamin, cette mémoire des luttes serait comparable à la force d’un sujet collectif qui aurait paradoxalement trouvé sa puissance dans les défaites successives des générations passées et qui, afin de pousser cette mélancolie à sa résolution dialectique, n’aspirerait qu’à la transformation du temps présent. En effet, « le passé ne quitte jamais le présent et les deux ne peuvent être séparés. Le passé demeure en nous et, par conséquent, peut toujours être réactivé. […] Pour sauver le passé il faut [donc] donner une nouvelle vie aux espérances des vaincus, il faut réactualiser les attentes inassouvies des générations qui nous ont précédés »24.

Ainsi, cette absence de mémoire des luttes de l’ESR s’expliquerait précisément par le fait que la mémoire est un processus qui ne saurait ignorer sa dimension intrinsèquement matérielle. En l’occurrence, le turn-over régulier des personnels et des populations étudiantes, la multiplicité des statuts qui caractérisent le monde de l’ESR (et donc des intérêts qui leur sont associés), voire même aussi l’aseptisation et la « sécurisation » progressive des lieux de l’ESR qui tendent de moins en moins à être des lieux de sociabilité militante25, ne favorisent pas vraiment la constitution d’un sujet collectif et d’une mémoire capables de se reproduire dans le temps. Pourtant, le poids des échecs de mobilisations avortées pèse bel et bien sur les épaules de personnels qui, sans doute par isolement ou par peur de représailles de plus en plus instituées par le new public management néolibéral, sont contraints de réduire au silence ces expériences quitte à les laisser s’évanouir avec eux. À chaque nouvelle offensive néolibérale, tout semble à être commencé, ou recommencé, selon la génération dans laquelle on se situe. Or, les plaies sont parfois encore béantes et les esprits des vaincus ne demandent qu’à être invoqués.

Dès lors, l’un des objectifs de ce dossier a été de contribuer, certes modestement, à récolter des éléments susceptibles de constituer cette mémoire en lui servant de support, et donc de tisser des liens entre les expériences vécues par les anciennes et nouvelles générations de l’ESR26. Cependant, la diversité des sujets abordés par l’ensemble des contributions collectées, allant des mouvements de critique des sciences des années 1970 jusqu’à l’émergence de la condition « précaire » dans les années 2000, nous ont contraint à scinder le dossier pour des raisons de contraintes éditoriales. La première partie, que nous publions dans le numéro 47, s’intéresse plus particulièrement à situer le temps présent en rendant compte, à partir de témoignages et de textes plus théoriques, de ce qui semble caractériser la condition moderne de l’ESR : sa marchandisation et la précarisation accrue de ses travailleurs et travailleuses. Dans un prochain numéro la seconde partie du dossier se centrera davantage sur les questions d’articulation entre les luttes universitaires et les luttes sociales et environnementales, tout en rendant compte d’expériences émancipatrices à l’international27. À présent, il s’agit donc d’introduire le lecteur ou la lectrice aux thématiques qu’il ou elle aura l’occasion de lire dans ce dossier, en lui soumettant des liens qui lui serait possible de tisser entre les différentes contributions.

Lutter, enseigner et faire de la recherche au temps de la précarisation et de la marchandisation de l’ESR

Depuis les années 1990, le processus de construction et d’intégration de l’Union européenne œuvre à créer les conditions d’un vaste marché d’une « économie de la connaissance »28 à l’échelle du continent. Comme le rappelle l’économiste Hugo Harari-Kermadec dans ce dossier, cette transformation a connu plusieurs étapes depuis le début des années 2000, notamment avec une homogénéisation des diplômes initiée en 2002-2003 avec la réforme Licence-Master-Doctorat, puis bien sûr avec la LRU en 2007 qui entérine l’autonomie budgétaire des Universités, encourageant donc ces dernières à trouver leurs propres ressources. Selon lui, cette transformation relève d’un processus de marchandisation dont la LPR serait une étape décisive. En redéfinissant « les modalités de financement des établissements à partir de l’évaluation quantitative de la production académique »29, la marchandisation de l’ESR œuvre à rendre commensurable (c’est-à-dire mesurable et comparable) du point de vue du marché et de l’État néolibéral, la valeur créée par le travail des personnels de l’ESR, aussi bien celui des enseignants-chercheurs que celui des personnels ingénieurs, administratifs, techniques, ouvriers et de service30. Selon lui, ce processus de marchandisation passe par une évaluation quantitative du travail qui nécessite de transformer ce dernier en travail producteur de valeur, ce qui peut donc impliquer d’instaurer de nouveaux modes de gestion des « ressources humaines » toujours plus violentes, ainsi que de contraindre les structures et les activités de recherche à s’ouvrir au secteur privé.

Dans sa contribution, la sociologue Olivia Chambard rend compte d’un aspect particulier de ce processus de marchandisation : celui du développement des formations à « l’esprit d’entreprendre » au sein des Universités françaises. Tout droit venue des écoles de commerce type HEC, la multiplication de ces formations résulte des tentatives d’adaptation des Universités aux évolutions structurelles évoquées plus haut, dans la mesure où les Universités trouvent ici l’opportunité de développer des partenariats avec le privé, mais aussi d’une volonté plus large d’inculquer chez les étudiantes et étudiants les normes et les valeurs adéquates pour assurer leur « employabilité » sur un marché du travail qui se caractérise désormais par une forte « déstabilisation de la condition salariale », une « flexibilisation du travail » et l’« essor des emplois dans des activités de service peu productives »31. Ainsi, la multiplication de ces formations révèle le rôle encore assuré par les Universités dans la reproduction de la force de travail, à la seule différence que, contrairement au tournant de leur professionnalisation à la fin des années 1960, elles doivent désormais former des générations de travailleurs et de travailleuses prêtes à s’auto-exploiter en « créant leur propre emploi ».

Or, cette marchandisation et cette ouverture au privé, qu’approfondira la LPR, n’est pas sans conséquence sur le travail des personnels de l’ESR. Dans un entretien accordé à ContreTemps, Erwan, ancien employé BIATSS de l’Université de Rennes 1, raconte les effets des partenariats public-privé dans son service de soutien à la pédagogie. Il décrit alors de nombreuses situations dans lesquelles son travail relevait davantage d’activités de sous-traitance en faveur d’entreprises privées, ce qui a engendré chez lui un sentiment d’aliénation et une perte de confiance dans les institutions académiques de service public dans lesquelles il croyait jusqu’alors. Toutefois, les institutions universitaires et ses personnels ne sont pas les seuls acteurs de l’ESR à subir les conséquences de la marchandisation. Comme le montre la contribution du collectif des Revues en lutte, le secteur de l’édition scientifique est lui aussi de plus en plus touché par les mesures qui prônent une concurrence généralisée entre les structures tout en réduisant drastiquement leur financement pérenne. Pourtant, à travers une politique du publish or perish généralisée, qui incite les chercheurs et chercheuses à publier coûte que coûte pour s’assurer le prolongement de leur financement ou bien trouver un poste de titulaire, les revues scientifiques sont aujourd’hui devenues le nerf de la guerre de la recherche. Or, pour se maintenir à flot, ces dernières sont contraintes de compter sur le travail gratuit des chercheurs et chercheuses, ou bien de passer par une multitude de contractuels précaires, alors que ce travail mériterait des postes stables à plein temps.

Ainsi, comme on l’aura compris, le processus de marchandisation de l’ESR s’accompagne quasi corollairement de la précarisation de ses travailleurs et de ses travailleuses. Parallèlement à la déstabilisation de la condition salariale et à la dégradation des conditions de vie induite par les réformes néolibérales successives, les termes de « précaire » et de « précarité » se popularisent dans les luttes sociales durant les années 2000. Ils sont progressivement repris par les personnels de l’ESR mobilisés jusqu’à ce que ces derniers se constituent en mouvement de « précaires » à partir de 2016. Très impliqués dans les mobilisations contre la LPPR au début de l’année 2020, des membres de l’AG des Précaires de l’ESR en Île-de-France reviennent alors, dans les pages qui suivent, sur l’historique de leurs luttes, ainsi que sur les difficultés à se mobiliser et à se coordonner en tant que « précaires ». Pour cause, cette catégorie englobe des statuts, des profils et des conditions très différentes les unes des autres32. Or, la précarité n’est pas forcément propre à la période actuelle, comme le rappellent Maira Abreu et François Bourreau dans leur contribution33. En restituant le témoignage d’anciens et d’anciennes « hors-statuts » du CNRS, « ancêtres » des précaires d’aujourd’hui, qui ont lutté pour leur intégration dans les années 1970-1980, les deux auteurs invitent à relativiser les discours qui tendent à faire de la précarité une véritable condition postmoderne, tout en transmettant une mémoire de luttes qui ont réussi, en s’appuyant simultanément sur l’autonomie du mouvement et la combativité des syndicats. Or, la situation actuelle est aujourd’hui tout autre. Comme le souligne Christian Topalov dans la conclusion de son entretien, les personnels en lutte de l’époque avaient de bonnes raisons de croire en leur victoire, car ils savaient les conditions de leur titularisation possibles. Malheureusement, aujourd’hui, à mesure que les postes de titulaires diminuent parallèlement à une forte augmentation du nombre d’étudiants et d’étudiantes, la réforme en cours n’invite pas au même optimisme pour les jeunes générations de doctorantes et de doctorants34.

On l’aura compris, les pages qui suivent ne s’illustreront pas par leur enthousiasme. À moins de considérer, comme le suggère ironiquement Hugo Harari-Kermadec, que l’enchaînement de contrats à durée déterminée jusqu’à l’âge de 40 ans (moment d’une hypothétique titularisation pour les doctorants et doctorantes les plus jeunes) aura l’avantage de nous faire nous sentir jeunes pendant un moment ! (sic) Pourtant, et certainement par conscience d’un pessimisme ambiant, les luttes actuelles témoignent d’une encourageante prise au sérieux des vulnérabilités de chacun et chacune, plaçant ainsi la précarité au cœur des pratiques et d’une éthique des mobilisations, à condition cependant d’envisager le terme de « précarité » de façon quelque peu extensive. Selon l’anthropologue américaine Anna Tsing, « la précarité est un état où on est forcé de reconnaître sa vulnérabilité aux autres. Pour survivre, nous avons besoin d’aide, et l’aide est toujours fournie par un autre, qu’il en ait ou pas l’intention »35.

Comme en témoignent les militantes du Comité de mobilisation des Facs et Labos en lutte, placer les revendications et les pratiques féministes au cœur des luttes est aujourd’hui une perspective stratégique des plus importantes dans la mesure où prendre soin des unes, des uns et des autres nous permet de nous sentir plus fortes et plus forts ensemble tout au long d’un chemin de galères pour le moins sinueux et exténuant, voire même sans issues. À travers le récit des dernières mobilisations contre la LPPR, ces militantes racontent donc comment cette partie du mouvement a travaillé à instituer certaines pratiques qui n’ont pas été sans rencontrer quelque résistance ou incompréhension de la part d’autres militants. C’est ce que rappelle notamment Ambre, doctorante ayant une cécité et dont le contrat de financement avec le CNRS n’a pas été renouvelé suite à une réduction drastique du budget alloué au handicap. À partir d’un historique des luttes handies et anti-validistes dans l’ESR, malheureusement peu mises en avant36, l’autrice montre que si les épistémologies de la vulnérabilité, qui imprègnent de plus en plus les luttes actuelles, permettent certes de repenser les sciences d’un point de vue très matériel, elle ne doivent pas sombrer dans une forme d’académisme, comme ont pu le faire les science studies au tournant des années 1980. Ces réflexions doivent au contraire s’enraciner dans la pratique des collectifs qui les portent.

En assumant leur dimension fragile et vulnérable, et donc en abandonnant une bonne fois pour toutes leurs prétentions scientistes dont les échecs ne sont plus à démontrer, les sciences, ses travailleurs et ses travailleuses peuvent en effet trouver les conditions pratiques et théoriques pour lutter ensemble37, ainsi qu’avec et aux côtés des luttes sociales, des quartiers populaires aux luttes écologiques et environnementales. Pour autant, il n’est pas ici question d’en finir avec la science en tant qu’idéal démocratique d’émancipation. Il convient plutôt de reconsidérer la façon dont elle compose le monde avec ceux et celles qui y habitent. Comme l’écrit la philosophe des sciences et épistémologue féministe Donna Haraway, « la science a été utopique et visionnaire depuis le début ; c’est une des raisons pour lesquelles “nous” en avons besoin »38.

Aux travailleurs et travailleuses de l’ESR, jeunes et moins jeunes, solidarité à toutes et tous !

 Antoine Lalande, cordinateur du dossier

 Notes :

  1. https://www.liberation.fr/debats/2020/10/24/jean-michel-blanquer-et-l-universite-au-point-de-non-retour_1803277
  2. Sur ce point, voir notamment les contributions de nos camarades de contretemps.eu Ludivine Bantigny et Ugo Palheta, « Notre peine est immense, et les charognards sont là » : https://www.contretemps.eu/attentat-samuel-paty-recuperation-islamophobie-autoritarisme/ et Fanny Gallot, « Cachez ces dominations qu’ils ne sauraient voir. Quand la liberté académique est remise en cause » : https://www.contretemps.eu/recherche-racisme-intersectionnalite-islamophobie-postcolonial-autoritarisme-academique/. Pour une comparaison avec la situation états-unienne, voir également la contribution anonyme                  « Université : censurer au nom de la liberté d’expression », Carnet de recherche Racismes, 04/11/2020 : https://racismes.hypotheses.org/209
  3. Sur ce point, nous tenons à remercier chaleureusement le précieux et minutieux travail de veille et de synthèse réalisé par Christelle Rabier et le reste de l’équipe d’Academia, ainsi que Julien Gossa et son blog « Docs en stock : dans les coulisses de la démocratie universitaire » : http://blog.educpros.fr/julien-gossa/. Leur investissement a permis à bon nombre de personnels de l’ESR de comprendre les tenants et les aboutissants de cette réforme, ainsi que de se familiariser avec l’environnement légal, pour le moins obscur, de ce secteur. Leur travail a également été d’une grande aide dans la coordination de ce dossier. Ils seront ici amplement cités.
  4. Pendant le mois de juillet, en raison de son contenu « fourre-tout » qui ne porte pas exclusivement sur le financement de la recherche (mais aussi sur les conditions et l’organisation du travail des personnels de l’ESR), et en raison de sa longue période de programmation sur dix ans, le Conseil d’État a sommé le gouvernement de changer l’intitulé de sa loi. L’ancienne Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) est donc aujourd’hui devenue la LPR, ou plus exactement « Projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à lenseignement supérieur ». Dans le présent dossier, il se peut donc que les auteurs et autrices du dossier emploient indifféremment les deux appellations, LPPR ou LPR.
  5. L’équipe des rédacteurs d’Academia, « Academia fait des amendements (1/2) Sur les libertés académiques » : https://academia.hypotheses.org/26541
  6. L’équipe des rédacteurs d’Académia, « Loi de programmation de la recherche : nuit noire sur le Sénat » : https://academia.hypotheses.org/27401
  7. Ibid.
  8. Ibid.
  9. Ibid.
  10. Parallèlement à la mobilisation contre la LPR, qui réaffirme et renforce le rôle joué par l’HCERES dans la gouvernance de l’ESR, la communauté scientifique a vivement critiqué la nomination de Thierry Coulhon, ancien conseiller d’Emmanuel Macron à l’Élysée, à la tête de cette autorité administrative d’évaluation. Sur ce sujet, voir la lettre ouverte du collectif Rogue ESR, dès le début très actif sur cette question : « La nomination à la présidence du HCERES entachée d’une faute déontologique et d’une atteinte au principe de séparation des pouvoirs. Lettre ouverte du 11 octobre 2020 http://rogueesr.fr/presidence_hceres/.
  11. L’équipe des rédacteurs d’Academia, « Le choix du pire contenu possible, et pire encore : compte rendu de la CMP » : https://academia.hypotheses.org/28130
  12. Ibid.
  13. Ibid. Pour un historique et une analyse plus approfondie de ces mesures, voir notamment L’équipe des rédacteurs d’Academia, « La grande pénalisation de l’enseignement supérieur : le nouveau délit d’entrave aux débats » : https://academia.hypotheses.org/27770
  14. https://twitter.com/JulienGossa/status/1326101438741745667
  15. L’équipe des rédacteurs d’Academia, « LPR : les enjeux de l’ultime semaine au Parlement » : https://academia.hypotheses.org/28323
  16. https://universiteouverte.org/2020/11/19/le-24-novembre-on-marche-de-jussieu-a-matignon-contre-la-lpr-et-la-precarite/
  17. Sur ce sujet, voir l’analyse de la rédaction du blog Academia : « Vas-tu signer ? Le protocole du ministère, les syndicats, et le vote de la LPPR », https://academia.hypotheses.org/26517, publié le 8/10/2020
  18. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid39124/le-projet-de-loi-de-programmation-de-la-recherche-2021-2030.html
  19. http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2020/09/24/lppr-bonneteau-a-lassemblee/
  20. Ibid.
  21. Le contenu de la LRU, ou Loi relative à l’autonomie des universités, est explicité dans la contribution de Philippe Blanchet.
  22. À tel point qu’elles finissent parfois par s’institutionnaliser comme le montre le cas des science studies, dont une partie est issue des mouvements de critique des sciences des années 1960-1970. Sur ce sujet, voir notamment Debailly, Renaud et Quet, Mathieu, « Passer les Science & Technology Studies en revue-s », Zilsel, n° 1, pp. 23-53, 2017. Cette récupération institutionnelle de réflexions militantes est aussi, dans une certaine mesure, ce qui caractérise ces nouveaux courants disciplinaires que constituent les « studies » (feminist studies, gender studies, animal studies, postcolonial studies …). À ce sujet, voir Monteil, Lucas, et Alice Romerio. « Des disciplines aux « studies » ». Revue d’anthropologie des connaissances, 11, n° 3, pp. 231‑44, 2017.
  23. Traverso, Enzo, Mélancolie de gauche. La force d’une tradition cachée (XIXe-XXIe siècle), La Découverte, 2018, p. 16
  24. Ibid. , p. 203-204.
  25. Cette idée est notamment défendue par Victor Collet dans un entretien à paraître dans ContreTemps.
  26. Cet exercice a déjà été réalisé par Céline Pessis, dans un livre qui retrace les luttes environnementales et écologiques de scientifiques critiques des années 1970. Voir Pessis, Céline, Survivre et Vivre. Critique de la science, naissance de l’écologie, L’Échappée, 2014. Voir également la brochure « Fac de Nanterre : détruire un mur, construire une lutte » publiée en 2018 qui retrace l’historique et la mémoire des luttes de l’université de Nanterre : https://infokiosques.net/spip.php?article1554. Nous remercions amicalement Victor Collet pour cette référence.
  27. En particulier, Joëlle Le Marec et Antoine Faure proposeront d’aborder la mémoire des luttes sociales et universitaires entre le Chili et la France, tandis que Gulistan Sido, responsable des relations internationales de l’université du Rojava, nous fera l’honneur de témoigner de cette expérience révolutionnaire dans un contexte géopolitique pour le moins incertain.
  28. Wim, Kok,Relever le défi – La stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi Rapport Kok, Bruxelles, novembre 2004, p. 58.
  29. p. 108 du dossier.
  30. Cette catégorie de travailleurs et de travailleuses de l’ESR peut être nommée selon différents acronymes que le lecteur ou la lectrice aura l’occasion de rencontrer dans les pages de ce dossier : BIATSS, BIATOSS, ATOSS, IATOSS …
  31. p 91 du dossier.
  32. Le coordinateur du dossier entend présenter ses excuses aux contributeurs et contributrices ici évoquées. Pour cause, à la fois en raison de choix éditoriaux inhérents à la direction de la rédaction de la revue et d’un processus de publication accéléré effectué à peu de mains, cette contribution n’a pas été publiée dans sa version d’origine. En effet, le choix de l’utilisation d’une écriture inclusive faisant usage du point médian ( « · » ) n’apparaît plus dans la version effectivement imprimée. Or, il s’agissait ici d’un choix politique fort de la part des contributeurs et contributrices afin de visibiliser l’importance du rôle des femmes dans leur mobilisation et dans l’ESR de façon générale. Comme évoqué plus haut, cette disparition est liée à deux choses. Premièrement, un choix éditorial propre à la revue. Très attachée à visibiliser le rôle décisif des femmes dans les mobilisations et à un féminisme pleinement assumé, la rédaction n’a pourtant pas rallié les règles de l’écriture inclusive sous la forme principale de l’utilisation du point médian, même si cette question fait régulièrement débat en son sein. En effet, elle considère que ce formalisme scriptural accentue l’écart entre l’écrit et l’oral ce qui, pour beaucoup de ses lectrices et lecteurs, n’est pas sans poser certaines difficultés de lecture. Or, les articles proposés, par leur écriture, leur volume (un numéro de la revue est l’équivalent d’un livre), et le degré de concentration qu’ils exigent parfois, demandent un effort que la revue n’entend pas sous-estimer et, par conséquent, accroître. Par défaut, et dans le cadre d’une première relecture qui en appelait d’autres, la direction de la revue a donc supprimé le recours aux points médians, conduisant à ce qui peut être considéré comme une masculinisation de l’écriture. De son côté, le coordinateur du dossier se montre à l’inverse personnellement favorable à l’utilisation de l’écriture inclusive, quelles que soient ses modalités d’expression. Afin de concilier les choix éditoriaux des membres de l’AG des Précaires de l’ESR IdF et de la direction de la revue, et comme cela a effectivement été le cas pour d’autres contributions (notamment celle des militantes des Facs et Labos en lutte ou encore celle des Revues en lutte), le coordinateur du numéro a ainsi proposé de privilégier les procédés du type « travailleurs et travailleuses » au lieu du point médian. Cette proposition est acceptée sans difficulté par les membres du comité de rédaction de la revue.  Or, et deuxièmement, dans un processus de publication accélérée, le maquettage et la relecture des PDF avant impression ont été réalisés à très peu de mains dans des conditions peu optimales, privant notamment une phase d’aller et retour des BAT avant impression entre la direction de publication, le coordinateur du dossier, et les contributeurs et contributrices. Dans ces conditions, et par erreur d’inattention, le coordinateur du dossier n’a donc pas relevé le non-respect de l’écriture inclusive pour cette contribution, comme il en avait pourtant été convenu. Pour autant, il ne s’agit aucunement d’une volonté de censure de la part de la rédaction, car cette règle a bel et bien été respectée pour d’autres textes présents dans le dossier. Pour ces raisons, le coordinateur entend présenter une nouvelle fois ses excuses et tient à réaffirmer le fait que l’écriture inclusive relève de choix politiques qui ont toute leur importance dans les luttes actuelles, dans la mesure où elle se veut représentative des acteurs et actrices qui façonnent le sujet collectif de ces mobilisations.  Il est donc souhaitable que cette visibilisation des femmes par le langage se démocratise une bonne fois pour toutes, en particulier dans les revues qui accompagnent les luttes sociales. Dans une séquence politique de plus en plus sombre, et dans une situation de grande précarité pour le circuit de l’édition indépendante, nous avons plus que jamais besoin de solidarité et d’intercompréhension entre anciennes et nouvelles générations, plutôt que d’instaurer de faux clivages.
  33. Cette contribution fera l’objet d’une version longue et enrichie sur notre site internet.
  34. Selon Guillaume Miquelard, qui a récemment proposé une actualisation sur son compte Twitter du nombre de postes de Maître de conférence (premier corps des enseignants-chercheurs titulaires, le deuxième étant celui des Professeurs des universités) ouverts sur concours, 20 % des docteurs et docteures formé-es il y a 15 ans devenaient Maître de conférence, contre 7 % aujourd’hui. Cet horizon de plus en plus bouché est source d’une angoisse grandissante chez les doctorants et doctorantes, comme le résume ce témoignage de Claire C. qui explique pourquoi elle ne choisira pas de poursuivre à l’Université une fois son doctorat en poche :     « La chute de l’Université » : https://academia.hypotheses.org/25934.
  35. Tsing, Anna, Le Champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, La Découverte, 2017, p. 67.
  36. Sur ces questions, voir le travail du collectif des Dévalideuses : https://lesdevalideuses.org/
  37. Sur cette question, voir notamment le livre éponyme de Juliette Rousseau, Lutter ensemble. Pour de nouvelles complicités politiques, Cambourakis, 2018.
  38. Haraway, Donna, « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle », In Manifeste cyborg et autres essais. Sciences – fictions – féminismes, Exils, 2007, pp. 107-142, p. 121.

 

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