C’était La Ligue…

À propos du livre C’était la Ligue (*)

° Entretien avec Hélène Adam et François Coustal

 (*) : C’était la Ligue, Hélène Adam et François Coustal

éditions Syllepse (Paris) et Arcane 17 (Tarbes), novembre 2018

ContreTemps : « D’avril 1969 à février 2009, la Ligue, c’est quarante ans d’une histoire… » lit-on sur la 4e de couverture du livre. Pourquoi un tel retour sur le passé ?

Hélène Adam : Pour la Ligue, ces quarante années représentent une histoire riche, originale à plus d’un titre, porteuse de diverses dimensions, politique, sociale, de luttes, de confrontations avec les questions du féminisme, de l’écologie, de la crise du syndicalisme. Avec quant à sa vie interne un fonctionnement démocratique qui n’a guère d’équivalent…

Nous ne les abordons pas sous un angle historique global, mais par un certain biais. Le titre original que nous avions envisagé était « N’effacez pas nos traces ». Il lui a été préféré, à juste titre, C’était la Ligue… Il s’agit donc d’un récit, celui d’une certaine histoire qui encore aujourd’hui peut être utile à la réflexion politique, même si bien évidemment la situation a profondément changé.

François Coustal : 50 ans après la naissance de la Ligue communiste (avril 1969), 10 ans après la dissolution de la LCR (février 2009), il nous a semblé que nous avions le recul nécessaire pour transmettre cette histoire. Et, aussi, que c’était le moment. La plupart des protagonistes sont toujours là, disposant de toutes leurs capacités intellectuelles et de souvenirs encore vivaces… Plus tard viendra le travail des historiens. Avec C’était la Ligue, nous sommes davantage dans le document, même si les faits et les déclarations sont dûment référencés.

ContreTemps : Vouliez-vous restituer les débats multiples et souvent vifs qu’a connus cette organisation ?

 H. A. : Non ! Pour nous, il s’agit de transcrire ce que la Ligue a fait, davantage que ce qu’elle a dit. Il est vrai qu’en général pour elle le dire et le faire se conciliaient, mais nous ne réintroduisons les débats que dans la mesure où il s’agit d’éclairer l’action.

La Ligue ne fut jamais une secte, elle a toujours été en symbiose avec la situation, avec les débats au sein de la gauche et plus généralement de la société.

F. C. : En réalité, le principal souci pour exposer cette histoire n’a pas été la complexité des débats internes qu’a connus la Ligue. La première difficulté pour rendre compte des activités de la Ligue a été de les resituer dans le contexte politique et les circonstances où elles se sont déployées. C’est vrai, par exemple, à propos de la Révolution des Œillets au Portugal. Ou encore de la relation que la Ligue a entretenue avec l’Union de la Gauche. Et, en fait, de la plupart des thèmes et évènements qui sont évoqués dans le livre. C’est aussi ce qui explique le volume pris par le livre !

Ensuite s’est effectivement imposée la nécessité de restituer certains débats internes. Nous l’avons alors fait à partir des textes exposant ces débats – ces textes sont très abondants ! – en ayant recours à de nombreuses citations, plutôt que de chercher à exposer, expliquer et interpréter les différentes approches et orientations à partir de nos propres points de vue.

Une autre difficulté de ce projet résidait dans la complexité des rapports que peuvent (ou non) entretenir ces activités et des débats passés avec de possibles débats d’orientation actuels. Nous avons cherché – même si cela a parfois été source de frustrations… – à éviter de surligner outrageusement le legs que constitue, selon nous, le passé de la Ligue et comment ce legs pouvait être une source d’inspiration aujourd’hui. Néanmoins, nous avons souhaité insister sur une donnée que nous estimons essentielle : la question démocratique, l’exigence démocratique, l’attachement qui fût celui de la Ligue à un fonctionnement démocratique, en son sein et à l’extérieur.

H. A. : Cette histoire fut marquée de changements importants. Il y eut d’abord le volontarisme des années 1970, en fonction d’un contexte jugé prérévolutionnaire, partagé il convient de ne pas l’oublier par toute une génération. La jeunesse de l’époque était très largement convaincue de cela. Ensuite l’insertion sociale des militants et la pratique de ce qu’on appela le travail de masse ont conduit à un autre rapport à la réalité et ont permis que s’affirment des points de vue plus complexes.

La Ligue s’est montrée capable de contester ses propres dogmes, par exemple sur la nature de l’URSS, à partir de sa pratique. L’intérêt est celui de la méthode, pas forcément de qu’elle a pu donner. La spécificité de la Ligue fut précisément cette capacité à se remettre en cause en fonction de la réalité, et grâce à l’exercice de la démocratie.

Il faut en effet noter qu’en fonction d’événements importants la direction à différents moments a été mise en minorité, par exemple sur le travail syndical, les relations aux autres organisations ou à propos du tournant ouvrier.

F. C. : Certes, en ce domaine les autocritiques formelles et explicites sont rares. Mais les remises en cause ont bien eu lieu. La plupart du temps sous la pression de l’intervention dans le mouvement social, des inflexions voire des tournants d’orientation ont été opérés.

ContreTemps : Curieusement le livre fait peu sinon pas du tout entendre les dirigeants de la Ligue…

F. C. : Cette réflexion, nous nous la sommes faite… après la publication, à partir de certaines interpellations qui nous ont été adressées. Nous sommes partis de nos souvenirs, d’un plan détaillé, de documents, à commencer par les nombreux textes publics ou internes dont nous disposions. Et donc, en effet, il n’y a pas dans le livre (ni dans son élaboration) d’entretiens avec des dirigeants de la Ligue. Nous avons donc sans doute pratiqué à l’inverse de ce qu’auraient fait des journalistes ou des historiens.

ContreTemps : Comment vous est venue cette idée d’écrire un tel livre ?

F. C. : En fait, il s’agit d’un vieux projet, né de discussions entre nous deux et Olivier Martin. Nous étions également intervenus sur ces sujets lors de stages de formation ou dans les universités d’été de la Ligue. Mais, il y a deux ou trois ans, nous avons décidé qu’il fallait s’y mettre. On a élaboré un plan, ensuite soumis à quelques amis, qui nous ont aidés à l’enrichir. Et nous sommes passés à l’écriture.

Il faut noter qu’il existe maintenant de nombreux écrits au sujet de la Ligue : outre deux thèses (celle de Jean-Paul Salles et celle de Florence Joshua), on peut dénombrer une bonne quarantaine de mémoires universitaires – nous en citons quelques-uns – mais qui portent sur des sujets très précis, nettement plus délimités.

Les entretiens avec des militants et des militantes, nous les avons menés pour éclairer des points moins connus de nous, par exemple sur ce qui s’est passé au sein de la CGT à propos de la Pologne. Pour la création de Sud, nous étions suffisamment informés, mais beaucoup moins pour ce qui est, par exemple, de la naissance de la FSU, ou en ce qui concerne le mouvement de la jeunesse de 1986.

Ce livre n’est pas un livre de mémoires, mais le récit d’une histoire, celle de la Ligue, réalisé par nous qui avons été des militants et des responsables de cette organisation, donc avec une part de subjectivité. Nous sommes dans une histoire militante…

ContreTemps : De nombreuses réunions sont organisées autour du livre, de celles-ci quels sont les retours venant des lecteurs ?

H. A. : Les participants sont essentiellement des anciens militants et des responsables locaux de la Ligue. De leur part le retour est enthousiaste, un grand merci pour « nous redonner notre histoire ».

Il y a aussi des réactions de lecteurs qui furent étrangers à cette histoire et qui, la découvrant, se montrent très intéressés par tout ce qui a été fait par la Ligue.

On entend aussi des critiques, mais pas systématiques. Il s’agit d’indiquer des manques. À Marseille, un camarade est intervenu pour expliquer combien nous ne rendions pas compte de ce que fut alors dans un département comme le Var l’isolement des rares militants en « terres de mission ». C’était également vrai dans certaines entreprises quant à la situation de militants eux aussi très isolés, par exemple au sein de la CGT.

Une autre critique tout à fait justifiée est que cette histoire étant nationale elle est trop parisienne, ne prenant pas assez en compte les réalités des grandes villes.

Reste que pour combler ces manques, il faudrait augmenter d’un bon tiers le volume du livre !

ContreTemps : La cohérence du livre n’est-elle pas à trouver dans les débats qui ont jalonné la vie de la Ligue ?

H.A. : Non ! Le fil directeur est chronologique. C’est celui des événements, pas celui des débats, pour lesquels nous avons opéré des choix très sélectifs. Si nous avions organisé la recherche en fonction des débats, il aurait fallu traiter beaucoup d’autres thèmes, et en systématiser certains, tels que l’intervention dans la jeunesse ou l’intégration de l’écologie. Cette dernière, nous ne la traitons pas dans la durée, mais à partir de certaines interventions, qui furent souvent à l’initiative de militants et de groupes locaux de la Ligue, lesquels ont dû convaincre la direction nationale. Ce choix permet justement de retrouver la genèse des orientations adoptées par la LCR avec ce leitmotiv incontestable : ce sont souvent les mouvements de masse, les thèmes qu’ils abordaient, la manière dont ils posaient les questions, qui nous ont fait évoluer.

ContreTemps : Une question délicate mais à laquelle dans ces colonnes on ne peut échapper. Vous écrivez à propos des deux revues Critique communiste et ContreTemps, que la première était parfois  « en décalage » avec les demandes et la sensibilité des militants, la seconde « plus en phase avec l’organisation ou du moins, avec sa direction »

F.C. : La situation était en effet assez étrange. Le souvenir que j’en ai, forcément subjectif, est que ContreTemps dirigé par Daniel Bensaïd, à laquelle collaboraient Philippe Corcuff et d’autres, était plus en phase avec les préoccupations qui, à l’époque, étaient celles de la direction et des militants. En fonction de ce qui se passait alors de neuf : la création de Sud, l’altermondialisme, l’apport de la sociologie critique… Alors que Critique communiste correspondait davantage à la tradition, celle du vieux mouvement ouvrier. J’admets que c’est un jugement quelque peu à l’emporte-pièce.

Il conviendrait d’étudier les sommaires de l’époque pour l’une et l’autre revue. Ce serait utile, et pour notre part, nous ne l’avons pas fait. Nous avons travaillé avec le matériau à disposition, le site de RADAR[1] n’avait pas encore mis à disposition comme aujourd’hui la majeure partie des numéros de la revue théorique.

En revanche nous nous référons à de nombreuses citations et articles empruntés à Critique communiste, notamment pour la fin des années 70 et les années 80, l’époque où la revue était à périodicité mensuelle. Ces références concernent alors davantage les débats d’orientation que les réflexions théoriques. Il faut, en effet, se souvenir qu’au cours de plusieurs décennies d’existence, la revue Critique Communiste a beaucoup évolué, connu des formules et des périodicités différentes.

Nous avons aussi beaucoup utilisé les archives du Monde (qui sont extrêmement riches à propos de la Ligue), celles de Lutte ouvrière (également très documentées), celles du site RADAR déjà évoqué. De même que, pour les périodes plus proches, les articles et contributions du site ESSF (animé par Pierre Rousset). Et, bien sûr, la documentation très importante disponible sur le site consacré aux écrits et interventions de Daniel Bensaïd (danielbensaid.org).

H. A. : En ce qui concerne la Ligue il n’existe pas un lien automatique entre théorie et orientation. Cela évite le risque de voir la théorie servir d’argument justificatif d’une orientation décidée pour d’autres raisons.

La Ligue a évolué principalement dans ses références théoriques sur la base de la confrontation avec l’expérience pratique. Ce fut une organisation essentiellement empirique, à l’image finalement de la génération des années soixante qui aborda la politique suite à ses expériences directes de mobilisation de masse. Les militants qui se montrèrent les plus tatillons en ce domaine furent sans doute ceux qui disposaient d’une théorie déjà construite avant 68. L’important est que la JCR se soit mise en bonne position dans ce mouvement de 68, ce ne fut pas le cas de toutes les organisations qui existaient alors.

Il n’y a pas de continuité linéaire dans l’histoire de la Ligue, il y a eu d’importantes étapes de construction et des évolutions dans l’orientation, mais les années 1970 ont modelé la suite, dans la mesure où on a continué à raisonner en fonction des schémas issus des conditions d’émergence de la Ligue.

ContreTemps : La Ligue n’existe plus, le NPA a connu des ruptures et ce qu’on peut estimer être un éloignement croissant par rapport à ce que fut la Ligue. Vous n’abordez pas cette séquence politique.

H. A. : C’est délibéré. On s’est arrêté volontairement à la disparition de la LCR. La suite, quelle qu’elle soit, est une autre histoire. Il n’était pas possible d’aborder cette séquence dans le livre. D’autant que 10 ans, c’est court pour permettre le recul indispensable à l’analyse sérieuse d’un aussi jeune parti. La traiter nécessiterait une élaboration collective sur cette dissolution et ce qui s’en est suivi.

Certaines remarques indiquent une approche possible, mais on ne va pas plus loin.
On peut penser qu’à partir de 2002 une nouvelle génération a engagé sa propre expérience. La Ligue avait peut-être épuisé son potentiel, ce qui correspond aussi à l’épuisement de la génération des années soixante : un cycle générationnel qui se superpose à un cycle politique. La réalité ne correspondait plus à celle qui avait présidé à la fondation de la Ligue.

On voit que tout ce dont on parle dans le livre n’existe plus. Ce qui veut sans doute dire que cette histoire-là devait finir. Peut-être pas nécessairement si mal… Mais c’est une autre question.

F.C. : Pour dire le fond de ma pensée : selon toute vraisemblance, il existe bien un héritage politique de ce que fut la Ligue. Et, sans doute, des « héritiers partiels » que l’on retrouve, par exemple, au NPA ou au sein d’Ensemble. Mais, par contre, il n’existe pas d’exécuteur testamentaire doté d’une légitimité incontestable ! Finalement, c’est plutôt heureux : à chacun et à chacune de juger ce que l’histoire de la Ligue peut apporter aujourd’hui…

Propos recueillis par Louis-Marie Barnier et Francis Sitel

[1] http://www.association-radar.org/

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