Big Data : progrès pour les patients ou gains financiers ?

Big data : progrès pour les patients ou gains financiers ?

Marmar Kabir-Ahmadi (*)

(*) Marmar Kabir-Ahmadi est statisticienne et syndicaliste

Dans le domaine de la santé, le Big data (ou données massives) correspond à l’ensemble des données sociodémographiques, imageries médicales, analyses biologiques, comptes rendus de consultation et… traitements pris, disponibles dans différentes sources de données.
L’exploitation de ces données pourrait potentiellement présenter de nombreux intérêts : identification de facteurs de risque de survenue des événements comme décès ou progression de maladie, aide au diagnostic, suivi de l’efficience et de la tolérance des traitements. Et aussi permettre aux autorités sanitaires d’asseoir leurs décisions sur des arguments cliniques prouvés. Elle n’en soulève pas moins de nombreuses questions techniques et humaines, mais aussi éthiques.
L’analyse des Big data promet pouvoir faire émerger de nouveaux horizons notamment en recherche clinique et thérapeutique… Elle aiguise également l’appétit de financiers en mal de nouveaux marchés. En effet, si les résultats scientifiques de l’analyse des données massives ouvrent de nouvelles perspectives particulièrement en profilage des patients, leur réel intérêt pour le patient en matière de prévention, diagnostique et thérapeutique reste à démontrer.
A l’évidence les enjeux scientifico-financiers hantent ce domaine très à la mode. La Big Pharma se hâte de nommer des directeurs digitaux, Chief digital officer, pour suivre le mouvement. Selon Bertrand Bodson, titulaire de ce poste chez Novartis, la Big data offre des opportunités novelles à la promotion des produits : « Nous travaillons notamment avec la société Aktana qui utilise l’intelligence artificielle pour exploiter des bases de données, pour mieux cerner les habitudes de prescription des médecins et aider nos visiteurs médicaux à les démarcher plus finement » (1). « Ce n’est donc pas une révolution mais plutôt un changement d’échelle », estime Jean-Jacques Le Fur, analyste chez Bryan Garnier. « En revanche, c’est dans le développement clinique que le digital a sans doute le plus à apporter » (1). D’où chez Sanofi la double casquette attribuée à Ameet Nathwani qui cumule les fonctions de Directeur Médical et Executive Vice President Fonction Médicale et celle de Chief digital officer.
Les financiers espèrent que l’analyse rétrospective et en vie réelle des masses de données permettrait de réduire le temps et le coût des essais cliniques pour la mise sur le marché des médicaments. Par exemple, Novartis avec le projet baptisé Data42 recourt à l’intelligence artificielle pour exploiter les données d’essais cliniques accumulées au cours des 20 dernières années, afin de mieux analyser le cancer du sein ou l’insuffisance cardiaque, et dégager de nouveaux biomarqueurs (1).
La société Palantir (2), champion californien de l’analyse Big data, lancée avec le soutien de la CIA, qui a séduit la DGSI, Airbus et Fiat Chrysler, a aussi signé un accord avec Sanofi pour recueillir l’ensemble des données cliniques anonymisées de Sanofi dans une grosse base de données (Darwin). Selon Bernard Hamelin : “Il n’y a pas d’alternative à la plateforme de Palantir en Europe” (3).
Par ailleurs, Sanofi et le géant mondial du numérique Google ont annoncé le 18 juin dernier une nouvelle collaboration sous la forme d’un laboratoire « virtuel » d’innovation, pour développer de futurs médicaments et services en tirant parti des technologies de données.
Le montant de ces contrats géants avec Google, Palantir, Aktana … n’est pas connu, mais il s’agit d’énormes investissements. Le marché de Big data en santé est estimé à 68,75 milliards de dollars d’ici 2025 (4).
Bien qu’il soit impossible de remonter à l’identité du patient, la source des données ainsi utilisées reste malgré tout l’être humain dans ses moments de fragilité. Un malade sur son lit d’hôpital, des images de son corps produites et numérisées par un scanner, des données du prélèvement de son sang, des médicaments achetés pour se soigner… Ce patient est-il informé de ce commerce colossal ? Va-t-il en tirer un quelconque bénéfice ?
La seule protection prévue par les règles de l’Union européenne en matière de protection des données par anonymisation suffit-elle ? Ne faut-il pas que des instances issues de la société civile contrôlent l’utilisation de ces données, cela dans le sens de l’intérêt des patients et de la santé publique ?

1) https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/comment-la-pharmacie-sapproprie-le-big-data-et-lintelligence-artificielle-1003161
2) https://www.challenges.fr/entreprise/faut-il-avoir-peur-de-palantir-le-geant-du-big-data_649213
3) https://www.larevuedudigital.com/sanofi-il-ny-a-pas-dalternative-a-la-plateforme-de-palantir-en-europe/
4) https://www.lebigdata.fr/big-data-sante-2025-bis-research

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