chèques postaux Souvenir d’une prise de parole

Quelle surprise en descendant la rue d’Alleray de voir tous ces cars de CRS arrêtés à l’entrée du passage Bourseul ! L’impasse Bourseul est bondée de monde : ce sont les employées des Chéques qui ne peuvent entrer. Le personnel masculin de nuit a décrété la grève et bloque le passage. Tout le personnel est là, sans directive. Dans le même temps, tout le monde sait qu’un conflit d’ampleur inégalée se développe, depuis que les ouvriers de Sud Aviation de Nantes se sont mis en grève illimitée. Et les postiers des centres de tri viennent de se coordonner pour «partir en grève».

Moi, je suis du matin, et je découvre que tout le monde est là, les employées attendent des syndicats une prise de parole. Devant cette foule d’au moins deux milliers de femmes et de plusieurs centaines d’hommes, je me sens petite et isolée. Je sens que la situation est délicate puisqu’au niveau de la C.F.D.T nous sommes peu nombreuses en brigade A. La décision ne peut attendre. Aussi, je me lance, sinon c’est un cadre qui va intervenir pour le syndicat. C’était le moment de prendre sa place dans un conflit qui allait engager le tout Paris-Chèques au féminin ! Je n’avais qu’une chaise pour estrade !

Les femmes tapissaient la façade de Paris-Chèques qui allait fêter ses 50 ans d’existence depuis 1918. La Direction avait pour cet événement décidé le ravalement de ce grand et vieil immeuble. Les travaux étaient en cours et apportaient encore un peu plus d’austérité à ce bâtiment bardé d’échafaudages. En l’espace d’une heure, cette structure faite de barres de fer devenait une aubaine pour accueillir des dizaines et des dizaines de femmes, qui s’accrochaient aux grilles et dominaient ainsi la foule entassée.

On aurait pu croire ainsi que le bâtiment même était du côté des grévistes. Il en avait contenu des crises de nerfs, de folie, des tentatives de suicide de ces jeunes femmes qui n’en pouvaient plus de tenir le rendement ! Aujourd’hui c’était la grève, et on n’entendrait plus depuis la rue Bourseul le bruit infernal des machines sextuplex.

Dans cette première prise de parole, que dire ? Tant les problèmes étaient à vif sur les conditions de travail, le manque d’effectifs, l’absence de logement, le manque de foyers, et surtout le manque de considération au travail ? Et le droit syndical ? Et depuis des années, c’était la galère pour tout le monde, le gouvernement était mis en accusation. En général, sans se le dire, on justifiait cette paralysie du système économique qui était en train de faire tâche d’huile.

Les rapports entre syndicats n’étaient pas tendres, car derrière se profilaient des enjeux politiques, et pour l’immédiat le contrôle du mouvement de grève. Avec un seul porte-voix les prises de parole étaient à peine audibles pour la foule de grévistes qui chaque jour venaient aux nouvelles.

Dès le début du conflit, la CGT a décidé que pour diriger la lutte il y aurait un comité de grève, composé de 4 CGT, 4 FO, 4 CFDT. C’était un diktat, pas une éventualité. Ca donnait le «la» pour une grève qui ne s’annonçait pas démocratique. Les grévistes ne feraient pas les décisions. Autrement dit, un mouvement qui s’annonçait pour être rondement mené !

Odette Poncet

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