
Le coup de poker de Macron était de se saisir de la défaite électorale de son camp lors des européennes pour renverser la situation : la dissolution brutale de l’Assemblée nationale offrant l’opportunité d’une modification des rapports de force. Le coup de bluff était d’offrir de manière accélérée un choix binaire pour le gouvernement du pays : soit le bloc central retrouvant une majorité absolue, soit l’aventure du pouvoir confiée à deux « extrémismes », présentés comme symétriques, le RN et une gauche dominée par LFI.
L’opération pouvait, une fois l’effet de sidération passé, paraître ne pas manquer de panache. Elle s’est vite avérée receler une sérieuse erreur de calcul, qui était d’évacuer la possibilité d’une victoire du RN ouvrant à celui-ci un accès immédiat au pouvoir. Perspective suffisamment concrète pour permettre à Bardella le luxe de demander à l’électorat une majorité absolue, une simple majorité relative ne lui permettant pas d’appliquer son programme.
Dès lors, l’ensemble du scénario macronien s’effondrait. Face au défi de l’extrême droite, la gauche sociale se mobilisait puissamment et la gauche politique en ses principales composantes était amenée à réaliser son unité électorale.
Quant à Macron, il n’avait pas à l’évidence pris la mesure de son discrédit, combien il cristallisait sur sa personne et son mode de gouvernement les ressentiments de multiples catégories sociales. Un rejet qui déstabilisait son opération et aggravait les dynamiques de division au sein de son camp. L’heure sonnait de la fin du macronisme.
Une tripartition indépassable
Les élections législatives, loin de permettre un dépassement de la tripartition du champ politique, ont confirmé et consolidé celle-ci.
C’est dans ce cadre que s’est imposé le seul fait majoritaire : le refus de l’accès au pouvoir de l’extrême droite.
Un résultat obtenu par la mobilisation de l’électorat de gauche en faveur des candidatures du Nouveau Front Populaire (NFP) et, de façon moins attendue, par la réactivation du front républicain, qu’on disait mort, pour faire barrage à l’extrême droite.
L’échec de cette dernière est relatif. Certes, son impact est fort, mais davantage psychologique que politique, compte tenu d’une victoire annoncée et de la confirmation que pour lui sur la voie du pouvoir demeure un verrou, la perception majoritaire dans l’opinion qu’il est toujours une menace pour la démocratie. Ce loupé, déception pour les uns et soulagement pour les autres, ne doit pas occulter que le RN poursuit sa progression électorale, et engrange voix et sièges.
L’affirmation péremptoire de Macron comme quoi au terme de ces élections il n’y aurait « ni vainqueur, ni vaincu » est erronée en ce qu’elle escamote la défaite essuyée par Macron soi-même et le bon résultat du Nouveau Front Populaire. Pourtant elle comporte un grain de vérité, si on ajoute à ce jugement l’adjectif complet. Ce que confirme le fait que même Les Républicains, en si mauvais état, ont sauvé les meubles, et que le camp présidentiel spectaculairement affaibli conserve des capacités de manœuvre importantes.
Comment gouverner sans majorité ?
Pourquoi l’actuelle Assemblée nationale, proche d’une représentation qui résulterait d’un scrutin proportionnel, paraît-elle ingouvernable ? Moins à cause de sa division (une tripartition, sinon davantage), que du fait quelle reste inscrite dans le régime de la Ve République, présidentiel et avec un scrutin majoritaire à 2 tours.
D’où une double contrainte pesant sur les partis politiques et leurs groupes parlementaires. Ils ne disposent pas de la flexibilité qui résulterait d’une élection à la proportionnelle, celle qu’on constate dans les assemblées de la plupart des pays européens. Et les hante le prochain rendez-vous présidentiel, en 2027, voire avant, les ambitions rivales induisant des blocages au regard de possibles alliances. Ce qui explique par exemple que Laurent Wauquiez s’oppose présentement à un accord entre droite macroniste (dans sa diversité) et droite des Républicains.
Alors que la possibilité de gouverner dans le contexte actuel dépend d’un basculement vers un fonctionnement parlementaire, celui-ci est empêché par le régime politique existant. Les remuements politiques auxquels on assiste témoignent de cette contradiction.
Le RN pour sa part se voit libéré des difficultés qu’aurait impliquées pour lui une éventuelle gestion gouvernementale, il peut se consacrer totalement, Bardella envoyé à Bruxelles, à la préparation du prochain rendez-vous présidentiel de Marine Le Pen.
Quant aux autres partis, force est de constater que jusqu’alors les postures prennent le dessus sur les positions susceptibles de dégager le centre de gravité d’une possible formule gouvernementale.
Est de l’ordre de la posture la proposition de Macron d’une « grande coalition républicaine », excluant le RN et LFI (ce qui supposerait et l’accord de LR et un éclatement du NPF, ce qui est hors sujet aujourd’hui). La vraie solution envisageable est celle d’un accord avec LR, au moins provisoirement bloqué.
Qu’en est-il pour le Nouveau Front Populaire ?
Dès le soir de l’élection, d’abord par la voix de Mélenchon, a été envoyé un message de victoire.
Non pas le constat d’un succès plaçant le Nouveau Front Populaire en première position au sein l’Assemblée nationale, avec seulement une faible majorité relative, mais bien une victoire complète justifiant en faveur du NFP un impératif : former le gouvernement et appliquer le programme , « rien que le programme, tout le programme ! »
Une posture maximaliste qui ne permet pas de mettre en avant des positions répondant aux réalités de la situation : la légitimité du NFP compte tenu des résultats électoraux à revendiquer de former le gouvernement (à la différence de l’ultimatisme de Bardella annonçant que sans majorité absolue ce serait sans lui…), et l’appel à ouverture aux élus issus d’autres formations politiques qui seraient prêts à défendre quelques mesures d’urgence ( par exemple l’abrogation des lois retraites, d’indemnisation chômage, sur l’immigration, la libération des prisonniers Kanak…) Autant de « lignes rouges » pour un NFP prêt à gouverner. Faute de leur acceptation, il incomberait à un autre groupe de proposer un gouvernement, par rapport auquel le NFP aurait à définir son positionnement en fonction du programme qu’il afficherait.
Les fragilités de la posture maximaliste sont vite apparues avec l’incapacité de proposer une candidature au poste de Premier ministre, et à sortir explicitement de la revendication du « Tout le programme ! » pour préciser des priorités. Et, plus gravement, avec l’étalage des divisions entre les composantes du NFP, à commencer par la rivalité entre LFI et PS et la question de savoir lequel représente le premier groupe parlementaire en nombre d’élus…
C’est ainsi que la main a été laissée à Macron qui, malgré le désaveu essuyé, prétend rester maître du jeu à partir de l’exercice du pouvoir présidentiel, et ce au nom de la continuité de l’État et de la défense des intérêts de la Nation.
Pour une gauche à la hauteur des enjeux de la situation
Nous connaissons un moment de forte politisation. Une de ses caractéristiques est que la mobilisation à gauche pour les élections s’est faite moins sous le signe de l’espoir (celui que le NFP est censé porter) que de l’angoisse liée à la menace que représente la montée de l’extrême droite. Cela vaut invitation à ne pas entretenir des illusions quant à ce qui est possible, par exemple en cultivant le thème que la victoire de la gauche pourrait lui « être volée ». Cultiver celles-ci ne peut conduire qu’à des déceptions et des démoralisations. Au contraire, il convient d’être clair sur les difficultés de la situation, et en quoi elles nécessitent de construire une unité à gauche qui ne soit ni de circonstance ni dominée par des préoccupations électoralistes, en particulier présidentialistes.
D’où la question centrale de la constitution de cette unité, de manière démocratique, pluraliste et citoyenne, à travers des assemblées de base, décidant de leurs relations avec les partis nationaux, ouvertes au mouvement social, et menant des interventions pour concrétiser les exigences d’un changement, sur tous les terrains, en faveur du salariat, de la jeunesse et du peuple en général.
Un front vraiment populaire !
13 juillet 2024
Antoine Artous, Francis Sitel