
Mohamed Chérif Ferjani (*)
Après son échec et celui de son camp dans les législatives anticipées, Macron essaie de reprendre la main. Dans sa lettre aux Français, il poursuit deux objectifs : transformer sa défaite en victoire en faisant de son camp le pivot d’une nouvelle coalition gouvernementale, comme s’il n’y avait pas eu ces élections ; diviser la gauche à l’unification de laquelle il ne s’attendait pas lorsqu’il a décidé la dissolution. Pour réussir sa manœuvre, il compte sur le secours de la droite, majoritaire au Sénat, dont une large partie n’est pas étrangère à ces calculs et dont le premier objectif est d’empêcher la gauche de gouverner. Il prend prétexte du fait qu’aucun bloc n’a la majorité absolue pour se dérober à l’obligation de désigner un candidat de gauche pour former un gouvernement, en affirmant qu’aucun camp n’a gagné les élections et qu’il faudrait une large coalition regroupant le centre droit et le centre gauche et excluant ce qu’il appelle « les extrêmes », slogan agité durant la campagne électorale pendant que ses émissaires et des leaders de sa coalition menaient des tractations, en catimini, avec Marine Le Pen et Jordan Bardella (son ministre de la défense, Sébastien Lecornu, et son premier chef de gouvernement, Édouard Philippe, du moins pour ce qu’on a pu savoir). Ce qu’il omet de dire en pointant l’absence d’une majorité absolue dans la nouvelle Assemblée, c’est que c’était aussi le cas lors des précédentes législatives où son camp n’a eu qu’une majorité relative, sans que cela ne l’empêche de désigner un Premier ministre issu de ses rangs. La seule différence est qu’il s’agit cette fois d’une majorité relative de la gauche et non de son camp ancré à droite.
Face à cette manœuvre grossière, la gauche doit rester unie en proposant, au plus vite, un(e) candidat(e) au poste de Premier(e) ministre, en prenant à témoin l’opinion publique et la société, et en n’acceptant aucune condition concernant ses affaires internes : ce n’est ni à Macron, ni à la droite, de lui imposer la marginalisation de l’une de ses composantes pour accepter ses choix concernant la composition de son équipe gouvernementale. Il serait fâcheux et dangereux de sacrifier son unité, chèrement et difficilement réalisée grâce aux pressions de sa base, des syndicats et de la société civile, dans le vain espoir d’un rapprochement avec Macron et une droite dont, au moins une partie pour ce que l’on sait, a tendu et continue à tendre la main à l’extrême droite. C’est à la gauche de gérer les relations entre ses composantes et de définir la politique qu’elle propose en tenant compte de la situation et des rapports de force issus d’élections qui ne lui ont pas donné une majorité suffisante pour appliquer son programme, comme elle l’aurait souhaité. Ce n’est qu’en préservant son unité qu’elle sera respectée par ses adversaires et par ses électeurs. Aucun compromis ne doit être fait au détriment de la préservation et de la consolidation de son unité. Si Macron et la droite s’opposent aux propositions raisonnables d’un gouvernement de gauche et vont jusqu’au vote d’une motion de censure, la responsabilité en incombera à celles et ceux qui seront à l’origine de ces obstructions. La gauche doit rester unie, quitte à passer dans l’opposition dans l’honneur, la fidélité à ses engagements et à ses électeurs. Ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra se préparer, dans les meilleures conditions, aux prochaines échéances en consolidant son rôle de rempart à l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Si elle se divise et tombe dans les pièges tendus par Macron et par la droite, ce sera un boulevard pour la victoire dont rêve l’extrême droite et ses alliés au détriment des victimes des politiques néolibérales qui succomberont, faute d’une offre réellement démocratique et sociale, aux sirènes des idéologies xénophobes des différentes expressions de la révolution conservatrice.
(*) Mohamed Chérif Ferjani est Professeur honoraire des universités, militant de gauche en France et en Tunisie, auteur, entre autres, de Néolibéralisme et révolution conservatrice, Nirvana Éditions, Tunis, 2022)