États-Unis Sauver et reconstruire en mieux : jusqu’où iront les réformes de Biden ?

Par John Barzman

La loi Plan de sauvetage de l’Amérique (« American Rescue Plan », désormais ARP) nous donne un échantillon conséquent de la politique qu’entend mener Joe Biden. Ratifiée par le nouveau président le 11 mars 2021, après avoir été adoptée par les deux chambres du Congrès sans l’appui d’un seul élu républicain, elle avait été annoncée par le candidat au cours de sa campagne, puis étendue et rétrécie au fil des longues négociations qui ont suivi le scrutin du 6 novembre, et l’intronisation du nouvel occupant de la Maison Blanche le 21 janvier. Son contenu final, ce qui est inclus, ce qui est reporté à plus tard ou exclu, nous donne des clés pour comprendre les rapports de force. Elle a été présentée comme le plus grand geste de stimulation économique fiscale et budgétaire de l’histoire des États-Unis, et comme une reprise en main magistrale de la lutte contre l’épidémie de COVID. D’après les communicants de la présidence, les familles américaines devraient pouvoir se retrouver autour d’un barbecue pour la fête nationale, le 4 juillet 2021.[1] L’effet a été immédiat : le pourcentage des avis favorables à Biden a dépassé les 60 % autour du 11 mars, alors qu’il planait auparavant autour de 53 %.[2]

Biden compte sur cette loi qui contient nombre de mesures populaires pour regagner une partie de l’opinion publique et tenir jusqu’au renouvellement partiel du Congrès à mi-mandat (« mid-term elections ») en novembre 2022. Les médias sous influence démocrate ont immédiatement claironné que beaucoup de citoyens républicains approuvaient la loi, malgré le vote négatif de leurs élus. L’ARP contient des parties qui visent à plaire à trois blocs de voix assez différents : les entrepreneurs, les salariés, les personnes victimes de discrimination historique. Son examen appelle un coup d’oeil sur la vie parlementaire américaine, en n’oubliant pas, toutefois, que celle-ci est largement déterminée par les rapports de force sur le terrain. Mais auparavant, un bref rappel de ce qui n’est pas touché par l’ARP.

Hors champ : l’international et la reconstruction à moyen terme

Il y a d’abord les relations internationales des États-Unis. Notons qu’un des premiers actes de Biden sur la scène internationale a été de bombarder un territoire syrien où l’armée américaine soupçonnait qu’un mouvement irakien proche de l’Iran était en train d’établir une base (25 février, entre 1 et 22 morts). Quelle que soit l’interprétation fine des objectifs de cette opération, il s’agit évidemment d’affirmer la puissance américaine au Moyen-Orient. L’intervention a été approuvée par les républicains et les démocrates, à l’exception de quelques dissidents démocrates qui ont rappelé que toute action militaire dans un nouveau pays devait être débattue et approuvée par le Congrès.[3]

Il y a ensuite le fait qu’au-delà des secours d’urgence, la loi ne dit pas comment reconstruire l’Amérique en mieux. En effet, la procédure choisie pour le vote de l’ARP (une réconciliation budgétaire sur une année) n’a pas permis d’engager des choix à long terme sur le droit syndical et le salaire fédéral minimum, les infrastructures, le système de santé, les choix énergétiques et l’ampleur de la lutte contre les discriminations raciales. Certaines mesures pourraient être prolongées lorsqu’elles arriveront à échéance. Mais pour la plupart, la décision est reportée à plus tard, au gré de l’agenda présidentiel. Celui-ci comporte d’abord des consultations quasi-permanentes avec les sociétés financières, de services, de micro-électronique, de communications et d’information, de travaux publics, d’assurances médicales et de pharmacie, de biotechnologie, du pétrole, de l’aéronautique, de l’armement et du nucléaire. Il prévoit ensuite des négociations officielles avec le Parti républicain et l’éventail des démocrates, allant des modérés proches du monde des affaires aux progressistes et démocrates socialistes. Enfin il accorde des entretiens brefs aux dirigeants des syndicats de salariés et d’associations nationales pour les droits égaux et l’environnement. Certes, des événements imprévus peuvent changer ce calendrier, tels qu’un rebondissement de l’épidémie du coronavirus, une grève victorieuse dans le centre d’Amazon en Alabama, une violence policière insupportable, une catastrophe environnementale, un scandale de corruption ou un échec retentissant à l’étranger.

Entretemps le cap est fixé. Biden a choisi la recherche à tâtons d’un consensus avec les élus républicains au Congrès et dans les États fédérés. Or, les premiers signes ne sont pas bons. Les alliés du modéré Romney ont montré par leur vote négatif sur l’ARP qu’ils ne veulent pas avoir l’air de céder aux velléités « socialistes » du nouveau président, élu avec les voix de Bernie Sanders. Pour l’instant, ils ont un objectif interne au Parti républicain : ne pas perdre le soutien des réseaux conservateurs qui constituent l’aile fiscale, autoritaire et non milicienne du trumpisme. L’enjeu est la sélection et le financement des candidats lors des prochaines primaires républicaines. Trump, déjà rassuré par le vote de 47 sénateurs sur 100 contre sa destitution le 13 février, est en train de réorganiser son camp pour marginaliser les modérés et consolider son emprise sur le Parti. Il vise la victoire de candidats trumpistes aux partielles de 2022 et sa candidature aux présidentielles de 2024.[4] Il continue de disposer du soutien d’une fraction importante des capitalistes, notamment des milieux financiers plus spéculatifs (secteurs de l’immobilier, des casinos, fonds de pension, racheteurs d’entreprises en faillite, dits charognards ou « bottom feeders »).[5] Et malgré quelques désenchantements, les réseaux miliciens lui restent acquis.

Quelle place pour la lutte spécifique contre la pandémie dans la lutte contre la récession ?

Le pari de Biden est que la popularité de l’ARP forcera les républicains modérés à choisir une forme d’union nationale bipartisane, malgré la pression des trumpistes. Il a pu vérifier que beaucoup d’électeurs se sont décidés à voter pour lui en novembre 2020 pour rattraper les retards et erreurs de Trump dans la lutte contre la pandémie, et il constate avec satisfaction qu’ils réapparaissent dans les sondages favorables à l’ARP. Ces transfuges momentanés préoccupés par la COVID ont sans doute comparé le projet de Biden aux mesures prises sous Trump et à la contre-proposition des sénateurs républicains du 31 janvier.

Sous Trump et le Sénat à majorité républicaine, alors que l’épidémie s’étendait, l’accent avait été mis sur l’urgence économique et l’aide aux entreprises, en commençant par les plus grandes. Dans la loi CARES (« Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act », 2 200 milliards, 27 mars 2020) adoptée à l’unanimité, le volet social était modeste et consistait essentiellement en l’envoi d’un chèque de 1 200 dollars signé par Donald Trump à tous les contribuables recensés par le Trésor américain, geste démagogique et sans lendemain, qui a néanmoins rapporté au président sortant des millions de voix de travailleurs salariés ou indépendants. La gauche a surtout critiqué la loi CARES parce qu’elle subventionnait des entreprises sans vérifier méticuleusement si elles avaient vraiment souffert de la crise et sans demander des contreparties sociales ou environnementales strictes.

La loi suivante, C.A.A. 2021 (« Consolidated Appropriations Act 2021 », 28 décembre 2020) adoptée dans l’interrègne entre la défaite de Trump et l’entrée en fonction du nouveau Sénat à majorité démocrate le 3 janvier, reprenait l’orientation de CARES. Mais cette fois, pour s’assurer le soutien des élus républicains, ses promoteurs ont été contraints d’ajouter aux 900 milliards prévus comme « aide à l’économie » face au coronavirus, 1 400 milliards de mesures en tous genres (« omnibus »). Parmi les péripéties de la négociation, signalons la réduction à 600 dollars du deuxième chèque d’aide aux contribuables, prévu à l’origine à 2 000 dollars, promesse vigoureusement rappelée par Trump, affichant sa mauvaise humeur au moment de ratifier la loi. Le pot-pourri législatif consentait aussi des subventions publiques aux écoles privées, notamment confessionnelles.

Enfin, une fois le nouveau Sénat entré en fonction, Biden intronisé et l’ARP annoncée, les sénateurs républicains ont élaboré une contre-proposition à l’ARP, destinée à être négociée dans l’esprit de réconciliation nationale souhaitée par Biden, d’un montant de 600 milliards. Ils excluaient toute aide au fonctionnement des États fédérés et autres collectivités territoriales (comtés, municipalités, agglomérations), toute compensation des discriminations historiques reconnues, et réservaient les secours aux personnes plus pauvres, au détriment des salariés et indépendants modestes (dits « classes moyennes »), nuisant ainsi à l’effet stimulant de la dépense fédérale sur l’économie.

Face à cette timidité, confiant dans le soutien de l’opinion publique, de l’AFL-CIO, des organisations de masse des femmes, des Africains-Américains et Hispaniques, et de défense de l’environnement, ainsi que d’un important secteur capitaliste intéressé par une relance vigoureuse même au risque de l’inflation, le sénateur démocrate et socialiste Bernie Sanders, désormais président de la commission du budget, proposa de couper court à la négociation en adoptant la procédure de réconciliation budgétaire qui limite le temps de débat (les discours interminables lus par l’opposition, dits    « filibuster ») et les majorités requises, mais aussi, malheureusement pour ses partisans, le champ des sujets pouvant être inclus dans le projet de loi. Il espérait, par exemple, que cette procédure permettrait d’intégrer dans la loi un salaire minimum fédéral de quinze dollars par heure. Erreur. On verra plus loin dans un encadré, comment le salaire minimum fut soustrait au projet de loi. Le résultat du mode « réconciliation budgétaire » fut le vote négatif de tous les sénateurs et représentants républicains. Inconvénient négligeable en fin de compte, puisqu’il permit l’adoption rapide d’une loi qui, pour la première fois, reconnaissait la lutte contre la pandémie comme responsabilité gouvernementale prioritaire, et incorporait des versements aux personnes et administrations publiques en difficulté et la prise en compte des effets plus graves de l’épidémie dans les populations victimes de discrimination historique. Nous avons distingué quatre fronts pour l’analyse de ce mille-feuille législatif.

Front 1 : combattre la pandémie

L’originalité de l’ARP par rapport aux lois d’urgence antérieures consiste à reconnaître la responsabilité fondamentale du gouvernement fédéral dans l’impulsion et la mise en œuvre des mesures de santé nécessaires pour sauver la population du COVID, d’où son titre, plan de sauvetage. Certains analystes présentent ce choix comme une exception au marché libre de la santé, autorisée par la doctrine libérale en cas d’urgence extrême. Mais les mesures sont si vastes qu’elles évoquent le    « droit à la santé » comme droit humain, principe défendu par Bernie Sanders et concrétisé dans la proposition d’étendre à toute la population le système fédéral d’aide à certaines catégories, à savoir les personnes de plus de 60 ans (Medicare), pauvres (Medicaid) et enfants dans le besoin (Medicaid et CHIP). La tentation sera grande pour les pragmatistes de prolonger les mesures de l’ARP au-delà des échéances initiales, et de l’étendre aux variantes, aux co-morbidités et autres affections. Par ailleurs, le déploiement des moyens fédéraux en tous genres suggère la prise en main des systèmes de santé multiples et divers (privés, mixtes publics-privés, publics, par compagnies d’assurance, entreprises ou État fédéré) par une autorité unique (« single payer »), autre proposition popularisée par Sanders.

D’ores et déjà, les masques, les tests, le traçage, les équipements protecteurs, vaccins et traitements, la logistique de mise à disposition, le démarchage, la formation des personnels, la recherche contre la COVID sont pris en charge par les autorités publiques, soit par distribution gratuite, soit par remboursement, soit par crédit d’impôt. Le défraiement se fait souvent par l’intermédiaire des États fédérés et services publics de santé locaux.[6] Les organismes fédéraux de santé existants, centres de recherche, laboratoires, inspections, hôpitaux, dispensaires et maisons de retraite (Centers for Disease Control and Prevention, Veterans Administration, Food and Drug Administration, Indian Health Service, Indian Housing) sont renfloués et mobilisés. Les autres services de santé, ceux qui sont dits « de communauté »(« community »), correspondants plutôt en France à la catégorie « services locaux ou associatifs », agréés, subventionnés, inspectés et contrôlés par l’État fédéral (Federally Qualified Health Centers), ceux qui relèvent des États fédérés (comme le California Department of Public Health) et les services privés sont enjoints d’utiliser les subventions et remboursements pour multiplier les tests et vaccins.

Le 28 mars 2021, le nombre de doses de vaccins administrées s’élevait à 93,6 millions, touchant 28 % de la population totale, étant entendu que tous n’avaient pas reçu la deuxième dose.[7] L’effort est rendu particulièrement visible par les vaccinodromes géants (« vaccination centers »). On réquisitionne des parkings immenses dans les stades et universités, on trace sur le sol des parcours pour les piétons et les voitures, on dresse des tentes, on stationne des camionnettes ou autobus reconvertis, le personnel qualifié et la logistique suivent. Le président Macron a reconnu dans une conférence de presse le 25 mars 2021, que « les États-Unis ont été plus ambitieux que nous ».[8] La mortalité liée à la COVID a nettement baissé depuis la mi-février mais le total des morts reste élevé, 546 704 morts le 29 mars 2021, soit 164 décès par 100 000 habitants, et 30 085 827 malades recensés.[9]

Enfin, parmi les clauses de l’ARP, l’ESSER (« Elementary and Secondary Schools Emergency Relief »), aide les écoles primaires et secondaires à payer les frais supplémentaires pour la distanciation sociale, les équipements protecteurs, la ventilation, la location de nouveaux espaces, l’enseignement à distance, le suivi psychologique et médical des enfants, les autobus et les modifications des repas scolaires. Elle vise à garantir « les conditions saines » réclamées par les syndicats d’enseignants pour la réouverture ou la non-fermeture de nombreux établissements d’éducation. Les débats ont porté sur la valeur totale de cette aide et sur sa répartition entre les écoles publiques (gérées par les Conseils de Districts Scolaires locaux élus) et les écoles privées. Une autre clause attribue des suppléments comparables aux établissements d’enseignement supérieur.

Front 2 : soutenir les entreprises

Comme les lois CARES et C.A.A. 2021, l’ARP considère la crise de l’économie comme un résultat de l’épidémie, et pense que la solution consiste à aider les entreprises à payer leur loyer, payer leurs salariés, régler leurs fournisseurs, vendre leurs produits ou prestations et distribuer des dividendes à leurs actionnaires, en attendant la reprise. Sauver les entreprises privées, le monde des affaires (« businesses »), serait le meilleur moyen de sauver l’emploi. Mais l’acte du        11 mars se concentre sur l’infusion vers le haut, c’est-à-dire des petites entreprises vers les grosses, plutôt que le ruissellement vers le bas cher à Trump, qui a perdu de sa crédibilité. Évidemment, les penseurs critiques ne souscrivent pas à cette logique : la baisse de la production et de l’emploi était apparue dès décembre 2019, avant l’épidémie ; la rémunération des actionnaires accroît les inégalités ; une gestion publique sous contrôle des salariés et consommateurs serait plus efficace et protectrice de l’environnement, que celle qui est guidée par la recherche des profits sur le marché. Ce point de vue porté par la gauche socialisante ne s’est guère imposé dans le débat public, sauf sur la question de la santé, comme on le verra plus loin.

En revanche, les partisans d’un Green New Deal, les néo-keynésiens, les progressistes et « libéraux » au sens américain, ont obtenu que les aides aux entreprises soient réservées à celles qui ont manifestement souffert des effets de l’épidémie, et qu’elles soient conditionnées à l’application de certaines normes de travail, de santé et de respect de l’environnement, exigences négligées dans les deux lois antérieures. En effet, pour obtenir les aides directes à l’entreprise, les petites et moyennes entreprises doivent s’adresser soit à la Small Business Administration fédérale, soit aux gouvernements des États fédérés, comtés, agglomérations et municipalités.

De toute façon, la majorité des entreprises, grandes, moyennes et petites, bénéficient de l’augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs et des commandes émanant des autorités publiques revigorées.[10] Parmi les mesures générales utiles aux entrepreneurs, citons la baisse du taux d’intérêt, l’étalement du remboursement des emprunts sur 25 ans, l’aide à la rémunération de la main-d’œuvre (maintien des revenus, allocations pour chaque enfant, moratoire sur les loyers et hypothèques). Certains secteurs d’activité sont ciblés pour une aide sur mesure : hôtels et restaurants, magasins, recherche, assurances santé, chaînes d’hôpitaux et d’hébergement pour personnes âgées, logistique, instruments médicaux, bien que modeste dans le cas des compagnies aériennes. Les organisations représentatives de la finance et       de l’industrie ont donc majoritairement plutôt bien accueilli la loi.

Cette logique d’aide à l’entreprise privée pour combattre l’épidémie a été remise en cause dans le domaine des soins médicaux et même des produits pharmaceutiques par l’aile gauche du Parti démocrate, sans toutefois obtenir de concessions dans l’ARP. « Medicare for all », le système de santé public national proposé par Bernie Sanders a obtenu un large soutien lors de sa campagne des primaires démocrates. Il prévoit un passage des compagnies privées d’assurance santé vers le public et, selon la radicalité de l’interlocuteur, des médecins salariés, et des hôpitaux publics approvisionnés par une industrie pharmaceutique publique. Ce dernier point est passé au cœur de l’actualité avec la concentration des regards sur la recherche, la production et la livraison des vaccins anti-COVID sous brevets Pfizer, Moderna, Johnson and Johnson. Bernie Sanders et Elizabeth Warren en ont profité pour dénoncer les prix démentiels des médicaments et les profits immoraux de ce qu’ils appellent « Big Pharma », réclamer l’application de lois anti-monopolistiques                        (« anti-trust ») et la négociation obligatoire entre les firmes pharmaceutiques et les organismes de santé publics du prix des médicaments mis en vente.[11]

Front 3 : soutenir les salariés

Le Département du Trésor fait la liste des mesures immédiates en faveur de ce qu’il appelle « les familles », catégorie     qui recoupe en grande partie les ménages ou les travailleurs (salariés et indépendants) :[12]

– les versements pour effet économique (Economic Impact Payment) ; jusqu’à 1 400 dollars par personne, 2 800 par couple, plus 1 700 par enfant, sur vérification de déclaration de revenus allant jusqu’à 75 000 dollars par personne ou       le double par ménage ;

– le crédit d’impôt par enfant (Child Income Tax Credit ou CHIP) double les crédits d’impôt annuels aux parents,              les portant à environ 3 000 dollars jusqu’à 18 ans, avec avance en 2021, notamment pour les revenus les plus bas, applicable à Porto Rico et dans les territoires américains ;

– le paiement des salaires d’employés publics (enseignants, sapeurs pompiers et autres travailleurs de première ligne) sur un fonds de récupération fiscale pour les collectivités territoriales (State and Local Fiscal Recovery Fund) ;

– le fonds pour projets à capitaux (Capital Project Fund) destiné aux infrastructures et au télétravail, notamment à la réduction de la fracture numérique dans les zones rurales et défavorisées ;

– les fonds d’assistance aux propriétaires de maison (Homeowners Assistance) et aux locataires (Emergency Rental Assistance) ;

– défiscalisation partielle des indemnités de chômage (Unemployment Compensation) ; prolongement et augmentation des indemnités de chômage ;

– extension des réductions et amnistie de la dette étudiante ;

– aide pour le paiement des primes des polices d’assurance santé perdues ou réduites pour cause de pandémie ou de récession (Continuation of Health Coverage) assurées par les bugets annuels (COBRA) ;

– garantie des retraites par un secours aux fonds de pension en voie de faillite en raison de la baisse de l’activité économique et des taux d’intérêt bancaires, menaçant les retraites de salariés alimentées par ces fonds, notamment celles des chauffeurs routiers et livreurs (« teamsters »).

– amélioration des protections sanitaires dans les métiers exposés à la pandémie.

S’ajoute à ces mesures touchant principalement les salariés une série d’aides aux petites entreprises dont on peut supposer que certaines aident les foyers à revenus mixtes. C’est surtout dans le volet d’aide aux salariés que l’intervention des parlementaires « modérés » démocrates et républicains, proches des milieux d’affaires, a réduit l’ampleur des mesures correctives : plafonnement des versements pour effet économique à 75 000 dollars par an et déduction des 600 dollars du C.A.A. 2021 des 2 000 dollars initialement promis, et surtout élimination de la mesure portant le salaire minimum fédéral horaire à 15 dollars par paliers successifs jusqu’en 2025 (voir encadré). Tout compte fait, la masse des salariés estiment que l’ARP leur est très favorable. Les plus lucides s’inquiètent de son caractère provisoire, ce qui renvoie aux prochaines lois qui orienteront la reconstruction.

Front 4 : réduire les inégalités, notamment héritées du passé

Un des aspects les plus originaux de l’ARP est la relance affichée de l’action affirmative destinée à réparer les inégalités issues de discriminations au cours de l’histoire du pays. Certes, les sommes et les domaines touchés ne sont pas grandioses, mais le simple fait de proclamer cet objectif, après Trump et les remugles de suprématisme blanc de             l’été 2020, mérite d’être relevé. La Maison Blanche déclare : « Et la pandémie a braqué les projecteurs sur la persistance de l’injustice raciale dans notre système de soins de santé et notre économie ».[13] Elle propose ensuite « de soutenir les communautés qui se débattent dans le sillage de la COVID 19 en fournissant une aide aux petites entreprises les plus meurtries, notamment celles qui sont possédées par des entrepreneurs de couleur, et en protégeant l’emploi des premiers intervenants, travailleurs du transport urbain et d’autres services essentiels dont nous dépendons. » Allusion assez claire quand on sait que les Africains-Américains sont souvent très présents chez les conducteurs d’autobus et de métro, et le personnel infirmier et de service des hôpitaux.

Le magazine Rolling Stone décrit l’aide accordée aux petits exploitants agricoles noirs.[14] La clause sur le Secours d’urgence pour les fermiers de couleur (Emergency Relief for Farmers of Color Act), introduite par le sénateur Révérend Warnock , nouvel élu de Géorgie, est lourde de symboles. Raphael Gamaliel Warnock est pasteur à l’Église baptiste Ebenezer, celle de Martin Luther King à Atlanta. Il a été élu au Sénat en janvier 2021 en battant la trumpiste extrême, Kelly Loeffler, dans l’élection partielle qui a permis de faire basculer le Sénat dans le camp démocrate. L’attribution de 40 acres de terre et d’une mule aux familles d’anciens esclaves était la principale revendication du mouvement abolitionniste après la défaite de la Confédération sudiste en 1865. En refusant de satisfaire pleinement cette demande, les gouvernants ont condamné les Noirs au métayage, à la ségrégation et à la pauvreté.

Depuis les années 1980, un mouvement de retour à la terre, notamment dans les États du Sud comme la Géorgie, s’est esquissé chez les Africains Américains. Mais les prêts demandés par ces fermiers noirs, survivants de l’émancipation ou pionniers du renouveau, ont été l’objet d’exigences extraordinaires de la part des banques et des antennes du ministère de l’Agriculture qui ont fragilisé leurs titres de propriété. Un recours en justice a déterminé que ces fermiers avaient été l’objet de discriminations raciales de 1983 à 2010, en violation de la Loi sur les Droits Civiques. Ces pratiques ont contribué à la chute du pourcentage des Africains Américains parmi les exploitants agricoles américains de 20 % dans les années 1920 à 2 % aujourd’hui. La clause de l’ARP alimentée par un fonds d’environ 5 milliards de dollars devrait permettre à ces fermiers de se libérer de toutes les dettes et intérêts dus, et de relancer leur exploitation.

Cette mesure est une des rares de la loi ARP qui concerne explicitement une minorité raciale ou ethnique. En réalité, les avancées apportées par l’ARP à la population africaine américaine, latina ou des autres minorités découlent principalement des mesures générales de protection sociale et de lutte contre la pauvreté. Ces minorités ont bénéficié dans les années 1960 et 1970 de la Guerre contre la pauvreté de Johnson et de ses successeurs, et souffert de la réduction des programmes sociaux et des attaques contre le « welfare » sous Reagan et ses successeurs. L’affichage marqué d’un retour de la lutte contre les inégalités est donc bien accueilli par les organisations de masse des femmes, des Africains Américains et des Latinos. Mais elle exigera des réformes profondes au-delà des mesures d’urgence de l’ARP.

Reconstruire en mieux ?

L’élaboration de l’ARP a légèrement retardé la présentation du plan de reconstruction à moyen terme. [15] On sait qu’il coûtera entre 3 000 à 4 000 milliards de dollars, soit deux fois plus que l’ARP et qu’il comprendra deux volets, l’un portant sur les infrastructures, nouvelles comme les télécommunications 5G, les réseaux à haut débit, l’énergie renouvelable, ou traditionnelles comme les ponts, autoroutes, voies ferrées, voitures électriques et logements, l’autre sur les ressources humaines comme la formation professionnelle, la santé et les rythmes de travail. Il s’agit de renflouer le capitalisme américain face à la concurrence avec la Chine. Il pourrait être saupoudré de réformes démocratiques, sociales et environnementales selon la pression exercée par les mouvements porteurs de ces idéaux.

Les objectifs de Biden ne coïncident que très partiellement avec ceux des partisans d’une transformation sociale et environnementale du pays. Les syndicats de salariés réclament le salaire minimum fédéral à 15 dollars, et une loi ouvrant l’entreprise à l’expression des salariés sur les orientations, les investissements, la sécurité, la santé, les conditions              de travail et l’environnement (loi PRO, Protecting the Right to Organize Act). Dans le cadre de la lutte contre le racisme systémique annoncée par Biden, les composantes déterminées du mouvement noir, plus ou moins proches du pouvoir, réclament l’élimination de l’écart de richesse entre Blancs et Noirs (National Advisory Council on Eliminating the Black-White Wealth Gap).[16] Le Black Lives Matter maintient ses revendications contre la brutalité policière. Le Révérend Barber et les Moral Mondays revendiquent une réduction drastique du budget militaire et l’élimination de la pauvreté. Les féministes espèrent revenir à une progression plus rapide vers l’égalité à travers le Conseil sur la Politique de Genre, installé le 8 mars 2021.[17] Les courants écologistes s’interrogent à propos des ambigüités de Biden sur l’énergie nucléaire, le gaz obtenu par fracturation (« fracking »), les infrastructures et sa timidité face à la proposition d’un      Green New Deal.

La voie est étroite pour Biden.

29 mars 2021

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[Encadré 1] La question du salaire minimum fédéral de 15 dollars

Un communiqué de Joe Biden du 20 janvier 2021 affirmait : « Le Président appelle le Congrès à augmenter le salaire minimum à 15 dollars par heure, et à mettre fin au salaire minimum modifié et au sous-salaire des personnes                 en situation de handicap afin que tous les travailleurs du pays puissent vivre comme la classe moyenne et apporter     des opportunités à leur famille. »

D’après l’Economic Policy Institute, 32 millions de travailleurs seraient affectés par une telle mesure.[18] Il s’agit notamment des travailleurs de l’hôtellerie-restauration, de la distribution au détail et de la santé. La revendication a été portée à travers le pays par le mouvement « Fight for 15 » fondé en 2012. Il a obtenu des lois allant dans ce sens             dans plusieurs États (comme la Californie, le Massachusetts, l’Illinois) et villes (comme San Francisco, New York Seattle). La fédération syndicale SEIU qui regroupe principalement des travailleurs des services a soutenu vigoureusement              la proposition dès 2012.

La confédération syndicale AFL-CIO a elle aussi soutenu la mesure et édité en 2019 une lettre à envoyer aux élus avec un argumentaire allant dans ce sens. En revanche, après le passage de la loi sans la clause des 15 dollars en mars 2021, elle n’a pas placé la revendication en première place de sa liste de priorités immédiates (Workers First Agenda).[19]

Entretemps en effet, les membres du Congrès républicains et démocrates modérés avaient lancé une offensive contre cette mesure qui avait déjà été diluée pour la rendre effective seulement en 2025. Joe Manchin et quelques autres sénateurs démocrates conservateurs ont travaillé la main dans la main avec leurs collègues républicains. Le sénateur Bernie Sanders espérait une décision de Kamala Harris, vice-présidente démocrate des États-Unis et présidente du Sénat, conseillée par une spécialiste des procédures parlementaires, qui permettrait un vote en bloc sur la loi ARP, avec les 15 dollars. Mais la juriste a déconseillé cette manœuvre et Kamala Harris, s’appuyant sur cet avis, a refusé le vote bloqué. Dépité, Sanders a insisté sur un vote : le salaire minimum n’a pas recueilli toutes les voix démocrates et a été refusé par 42 à 58.

Les sables mouvants parlementaires engloutissent facilement les causes insuffisamment soutenues par la rue.

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[Encadré 2 :]

La lutte des ouvriers d’Amazon en Alabama

Les salariés du centre de distribution d’Amazon à Bessemer, en Alabama, voteront jusqu’au 30 mars sur le choix d’être représentés par un syndicat, en l’occurrence le RWDSU (Retail, Wholesale and Distribution Workers Union). Ce vote est  le point culminant d’une longue mobilisation au cours de laquelle des organisateurs extérieurs et des sympathisants           à l’intérieur de l’entreprise ont convaincu leurs collègues de l’utilité d’un syndicat, de signer une pétition réclamant une élection, de rejeter les arguments mensongers de la direction et de se rendre au scrutin.[20]

Au 20 décembre 2020, Amazon employait 1,3 million de personnes à travers le globe. La société dirigée par Jeff Bezos a grandement profité de la pandémie et partage avec Apple la distinction d’être une des deux seules compagnies dont           la valeur dépasse 1 000 milliards de dollars. Pour l’instant, aucun de ses centres n’a de syndicat reconnu. Aux États-Unis, Amazon avait augmenté le salaire de base de ses ouvriers de 15 dollars à 17 dollars au début de l’épidémie. Mais elle a annulé l’augmentation en juillet 2020. Quelques arrêts de travail autour du manque d’équipements protecteurs ont démarré dans des centres à New York et Chicago. En octobre, Amazon a signalé que 20 000 de ses travailleurs avaient      la COVID.

C’est dans ce contexte que le mouvement s’est cristallisé en Alabama. La ville de Bessemer, en majorité africaine-américaine, a une tradition d’activisme syndical et pour les droits civiques. Ce combat entre David et Goliath est suivi    non seulement aux États-Unis mais à travers le monde. Si les ouvriers obtiennent la reconnaissance de leur syndicat, leur exemple sera suivi dans de nombreux autres centres de logistique. C’est le genre d’événement qui pourrait perturber les agendas de Biden et Trump.

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[1] On trouvera la présentation officielle du plan par la Maison Blanche à https://www.whitehouse.gov/briefing-room/legislation/2021/01/20/president-biden-announces-american-rescue-plan/. Pour le chiffrage nous traduisons         « trillion » par mille milliards, donc 1.9 trillion en anglais donne 1 900 milliards en français.

[2] Rapporté le 26 mars, https://projects.fivethirtyeight.com/biden-approval-rating/.

[3] https://www.latimes.com/politics/story/2021-02-26/us-airstrikes-syria-iran-what-comes-next.

[4] La destitution exigeait 60 voix sur 100.

[5] Pour les transformations des milieux capitalistes américains et de leurs préférences politiques, voir Kim Moody,         « Analyzing the 2020 Election: Who Paid? Who Benefits? », Against the Current No. 211, March/April 2021.

[6] Une liste des mesures sanitaires est dressée par l’Association des médecins américains (AMA) ; généralement adversaire de toute extension de la santé publique, à https://www.ama-assn.org/delivering-care/public-health/biden-s-coronavirus-relief-bill-what-physicians-should-know

[7] https://ourworldindata.org/covid-vaccinations

[8] https://www.huffingtonpost.fr/entry/covid-19-pourquoi-la-vaccination-va-si-vite-aux-etats-unis_fr_605374e8c5b6e32eb4afed1c

[9] https://covid.cdc.gov/covid-data-tracker/#cases_deathsper100k

[10] Andrew Edgecliffe-Johnson, « Big Business Lost Out In Biden’s $1.9tn Stimulus — But Still Supports It », Financial Times 17 mars 2021.

[11] https://journal.businesstoday.org/bt-online/2020/medicare-for-all-the-viability-of-a-nationalized-health-system-in-america-part-ii. Un exemple récent est le prix de l’unité d’insuline : $98.70 aux États-Unis,

$12.00 au Canada. https://mail.google.com/mail/u/0/?tab=cm#label/00+USA+article/FMfcgxwLtGjKFlxzGTGjJdJRjDhRkcpn?compose=new.

[12] https://home.treasury.gov/news/featured-stories/fact-sheet-the-american-rescue-plan-will-deliver-immediate-economic-relief-to-families

[13] https://www.whitehouse.gov/briefing-room/legislation/2021/01/20/president-biden-announces-american-rescue-plan/

[14] Tim Dickinson, « Covid Relief Package to Include Billions for Black Farmers », Rolling Stone, 3 mars 2021, https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/reparations-black-farmers-warnock-covid-relief-package-1136193/

[15] https://www.nytimes.com/2021/03/22/business/biden-infrastructure-spending.html?emc=edit_na_20210322&ref=headline&nl=breaking-news

[16] https://www.americanprogress.org/issues/economy/reports/2021/03/19/497377/eliminating-black-white-wealth-gap-generational-challenge/

[17] https://www.axios.com/biden-executive-orders-womens-rights-focus-6c911f9f-203c-4ea7-a1a6-2049f774d61a.html

[18] https://www.epi.org/publication/raising-the-federal-minimum-wage-to-15-by-2025-would-lift-the-pay-of-32-million-workers/

[19] https://aflcio.org/2021/3/15/reinforcing-values-and-solidarity-highlight-afl-cio-executive-council-meeting

[20] Joe Allen, « Organizing Amazon. Prospects and Challenges », Tempest, 19 mars 2021 https://www.tempestmag.org/2021/03/organizing-amazon/?fbclid=IwAR2aKjIkXho37XGQkQhgLx5aLCpuQnJU4i2E6rFV31uWVpekab-6shwHr5o

 

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