« Une réforme décisive qui est en cohérence avec une politique globale »

La loi LPR

Entretien avec Muriel Ressiguier

Députée France insoumise, membre de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation.

 

ContreTemps : Où en en est le débat parlementaire portant sur la LPR ?

Muriel Ressiguier : La Commission mixte paritaire de l’Assemblée s’est réunie le 9 novembre, après le vote du texte par le Sénat et l’a, hélas, en grande partie validé. Hélas, car ce vote est triste et désastreux pour la recherche. On ne pensait pas qu’on pouvait ajouter du pire au pire. Ce fut pourtant le cas puisqu’est venue l’aggravation d’un amendement qui vise à pénaliser les rassemblements et manifestations sur les campus, ce qui représente une atteinte grave aux libertés.

Quant à la réduction de 10 à 7 ans du programme budgétaire, que le Sénat avait décidée, elle a été retoquée par la Commission mixte paritaire, et on revient donc à 10 ans. Il faut aussi noter la réduction des pouvoirs du CNU, dont une partie des mesures prises sont présentées comme expérimentales, or personne ne se fait vraiment d’illusion. Ces dernières vont surtout encourager un mode de recrutement local, qui est très dangereux puisqu’il met en cause le statut de fonctionnaire et nous ramène au temps ancien du favoritisme et du clientélisme.

CT : Les députés opposés à cette loi ont été surpris par ces ultimes mauvais coups ?

M. R. : Oui surpris, tout comme la communauté scientifique. Pour le CNU, c’est arrivé via une association liée à une partie de la Conférence des présidents d’université. Mais la vérité est que toutes les mesures ont été soutenues par la ministre, madame Vidal. Le seul recul a concerné l’amendement portant sur les libertés académiques, défendu par la sénatrice Laure Darcos, car il n’aurait sans doute pas passé le filtre du Conseil constitutionnel.

La LPR constitue donc un vrai tournant pour s’aligner sur le modèle anglo-saxon et prôner l’ultra compétitivité. Mais le plus insupportable a été la méthode employée tout le long. Dès le début, la ministre et les rapporteurs n’ont pas joué cartes sur table. Plutôt qu’un véritable débat idéologique ils utilisaient systématiquement à la novlangue. Les   « CDI de mission » ? Ce n’est pas de la précarité. Le statut des fonctionnaires ? Il n’est pas mis en cause, et c’est même mieux pour l’égalité hommes/femmes, compte tenu des difficultés de celles-ci par rapport aux concours (sic)… Du coup, si vous n’applaudissez pas des deux mains, c’est que vous êtes ignorante des demandes de la communauté scientifique ! Une communauté qui, pourtant, explique tout comme nous que les débats sont biaisés, que le dialogue est impossible, qu’on se heurte à des gens qui, quoi que vous disiez, considèrent qu’ils sont aux commandes, et déterminés à imposer ce qu’ils ont décidé. Avec ce gouvernement, on a le sentiment d’être face aux trois singes, l’arrogance en plus !

Avec les collègues communistes, socialistes, et même quelques Républicains, nous nous sommes donc heurtés à ce mur. Tout cela est très dangereux pour la recherche, mais aussi pour la démocratie. Une telle absence de vision de l’intérêt général, de l’avenir du pays, quand on représente le peuple, c’est choquant ! Et c’est précisément ce qui éloigne les gens de la politique…

CT : À l’Assemblée, comment l’opposition s’est-elle manifestée face à ce projet de loi ?

M. R. : Le texte présenté le 22 juillet dernier confirmait nos craintes et au-delà. Dès l’été 2019, le travail parlementaire a été engagé, avec de nombreuses auditions de chercheurs et de personnels de l’ESR en plus des auditions de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation. Après nous avons mené une bataille commune avec le groupe communiste, puis avec les socialistes. Quelques élus Républicains l’ont même rejointe sur certains points.

Il nous fallait interroger l’utilité du Crédit impôt recherche (CIR) afin de voir si un autre outil contrôlable n’était pas plus pertinent, et déconstruire le discours de la ministre qui, de façon plus générale, s’inscrit dans la novlangue gouvernementale. Comme « l’école de la confiance » défendue par Blanquer, alors que l’argent est distribué au privé, que Parcours sup a instauré la sélection et qu’avec le contrôle continu le bac n’est plus de fait un examen national. La réalité actuelle, ce sont des enseignants qui disent ne plus croire aux institutions et ne plus avoir confiance en leur ministère. Dans le supérieur, ce sont des milliers d’étudiantes et d’étudiants en grande difficulté matérielle et psychologique. Toutes les lois imposées ces dernières années, LRU, loi ORE, et à présent LPR, aggravent la situation, en organisant le désengagement de l’État. Les Universités sont amenées à se tourner vers le financement privé, lequel en retour dicte ses choix. C’est la même chose avec la formation désormais confiée aux régions, ce qui va contre le principe d’égalité des territoires puisque ce sont les entreprises qui imposent des options en fonction de leurs besoins. Dans ces conditions, la recherche fondamentale est sacrifiée, au profit de thématiques qui répondent à d’autres objectifs. À ce titre, l’abandon de la recherche sur les coronavirus est une belle illustration.

Le contexte de la crise sanitaire a empêché que la bataille menée contre la LPR trouve l’écho qui lui était nécessaire. Du fait de l’impossibilité de tenir des réunions publiques, le travail effectué avec la communauté scientifique n’a pu être suffisamment relayé et le sujet n’est pas monté à la « une » des journaux. La mobilisation la plus efficace est celle de la rue, le contact direct avec les gens. Et de ce point de vue, les difficultés n’ont pas manqué.

Lors de la dernière séance à l’Assemblée, davantage de députés se sont mobilisés que lors de la première lecture. La communauté scientifique n’a rien lâché, publiant des tribunes et organisant des rassemblements en interpellant les élus. La prise de conscience était réelle pour les groupes parlementaires de gauche, mais le sujet s’est vite trouvé noyé dans une actualité marquée par la crise sanitaire, les attentats et l’explosion de la pauvreté.

CT : Quelles suites sont à présent envisagées ?

M. R. : Avec l’accord des députés socialistes et communistes, le Conseil constitutionnel pourrait être saisi. Il faut espérer qu’il retoquera quelques mesures, mais il ne faut pas non plus se leurrer car ce sera sur des points très précis, sans que soit mise en cause la logique globale. Le texte sera donc très vraisemblablement validé et la vision néolibérale qu’il porte va malheureusement s’imposer.

La question est à présent de savoir comment être utile à la communauté scientifique, qui reste mobilisée, et comment expliquer à nos concitoyens ce qui est en jeu. Un important travail a déjà été effectué par la publication de vidéos, d’entretiens, d’auditions zoom, pour faire comprendre que cela concerne, au-delà de la communauté scientifique, toute la population. Il ne s’agit pas d’une mesure tombant du ciel, mais d’une réforme décisive qui est en cohérence avec une politique globale.

CT : Du fait que l’application des mesures est laissée à la décision des présidents d’Université peut-on espérer que leur mise en oeuvre restera limitée ?

M. R. : Il est vrai que la situation sera différente selon les Universités. Dans certaines on sera souple, alors que dans d’autres ce sera la répression, d’où de nouvelles inégalités entre les établissements. On ne peut donc pas parier sur une non-application de ces mesures, et c’est là où réside précisément le problème : on ne peut pas laisser la main aux présidences des Universités. Au demeurant, l’histoire montre que des mesures répressives, une fois édictées de façon discrétionnaire, sont progressivement appliquées partout.

CT : C’est paradoxal que dans la situation actuelle de crise sanitaire, qui met en lumière combien il faut investir davantage dans la recherche et le développement des connaissances, le gouvernement impose une loi aussi régressive.

M. R. : Bien sûr, il faudrait investir davantage dans la recherche et l’enseignement supérieur, encore faut-il savoir pourquoi faire, pour qui, et en fonction de quels intérêts. En faveur de la population et de son émancipation ? Ce n’est pas la préoccupation de nos gouvernants. Plutôt que d’augmenter le nombre de places pour les étudiants, de créer de nouvelles facultés si besoin, ils choisissent la sélection.

C’est vrai que leurs choix sont rétrogrades et témoignent d’un certain manque d’intelligence. Leurs conceptions ultralibérales conduisent à une impasse. Je pense à une mesure précédente que j’avais défendue qui faisait suite à une mission flash menée avec ma collègue Fabienne Colboc. Au vu du manque d’accompagnants dans le secteur social en milieu étudiant, j’avais proposé une augmentation du budget de 7,5 millions d’euros qui aurait permis d’atteindre un accompagnant (assistant social) pour 7 000 étudiants dans les CROUS (c’est un pour 5 000 en Allemagne), rien de délirant donc. Réponse : c’est non ! Rien à discuter, un mur. Au risque de condamner les gens à une rage froide, dont on sait par qui elle pourra être récupérée.

CT : Une seule solution donc, la mobilisation ?

M. R. : Oui, il faut travailler à la mobilisation. Les seules choses auxquelles la macronie est sensible est son image et l’argent. Cette mobilisation nécessite donc beaucoup de travail et d’abnégation pour résister à la course contre la montre que le gouvernement nous a imposée. Ce dernier a précisément accéléré sur la loi LPR car il savait que le débat demandait du temps, et a donc voulu étouffer la réflexion collective qui était alors nécessaire.

Finalement, cette loi va rajouter des inégalités entre générations, entre statuts différents, entre les femmes et les hommes… Tout cela en aggravant la concurrence entre chacun et chacune. Or, il n’y a pas de fatalité et la résistance est d’actualité. Certes, la loi est votée, mais ce qui a été voté peut être abrogé.

Il nous faut donc faire comprendre que cette réforme concerne tout le monde et qu’elle est partie prenante d’une politique globale, comme cela a été le cas pour l’hôpital. L’éducation et la santé ne sont pas des marchandises, un service public n’a pas à être rentable, une Université ou un hôpital ne sont pas des entreprises… Et le pays n’est pas une start up nation ! La tâche est devant nous, pour mener une bataille elle aussi globale. Ainsi la loi « Sécurité globale » et toutes les décisions autoritaires du pouvoir ne sont pas étrangères à ce qui est imposé à la Recherche et à l’enseignement supérieur, notamment avec la pénalisation des mobilisations étudiantes. C’est une politique globale.

Il faut donc sans relâche expliquer pourquoi c’est grave, pourquoi cela nous touche toutes et tous, et pourquoi nous devons nous bouger.

Propos recueillis par Antoine Lalande et Francis Sitel

 

Défense par Muriel Ressiguier de la motion de rejet

Malgré quelques soutiens, la motion de rejet na pas été adoptée. Le texte final aggravé par le Sénat a été validé par la commission mixte paritaire et hélas voté par lAssemblée nationale ce soir.

 « Dans une tribune parue dans Les Échos en novembre 2019, Antoine Petit, PDG du CNRS, met le feu aux poudres en déclarant qu’il faut pour la recherche une loi ambitieuse, inégalitaire, oui inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à léchelle internationale, une loi qui mobilise les énergies.” L’idéologie néolibérale de la future loi était posée.

La communauté scientifique a très vite pris conscience de ce tournant idéologique qu’elle estime dangereux et mortifère pour la recherche. C’est pourquoi, depuis sa genèse, la LPPR entraîne une opposition et mobilise enseignants-chercheurs, personnels de la recherche, laboratoires, instituts nationaux, revues scientifiques, collectifs et syndicats. Ils multiplient les actions pour se faire entendre : journées de grève, tribunes, pétitions, courriers et tables rondes.

Mais fièrement, méthodiquement, cyniquement, vous poursuivez votre mission de déconstruction de l’ESR. Sans l’assumer frontalement toutefois, en le niant même parfois. Ce qui biaise les débats et les rend par moments tristement surréalistes.

Dans un climat déjà suffisamment oppressant où l’état d’urgence sanitaire s’éternise, où le plan Vigipirate a été renforcé et où la loi Sécurité Globale, elle aussi très préoccupante, va être débattue, la pénalisation des mobilisations étudiantes est une pierre de plus à votre édifice.

L’étude de la LPPR en procédure accélérée à l’Assemblée comme au Sénat a rendu quasiment impossibles les débats de fond. Son contenu ne changera plus. Vous scellez la déconstruction du Service public de l’ESR. La communauté scientifique et une partie des parlementaires n’ont pas pu empêcher ce désastre malgré leurs nombreuses tentatives.

Nous appelons donc nos collègues qui ont conscience que seule une recherche publique préservée et renforcée nous permettra de faire face aux nombreux défis à venir à soutenir cette motion de rejet. »

 

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